Le procès de France Télécom (2)

Episode 81 May 11, 2024 01:07:05
Le procès de France Télécom (2)
Après-Coup
Le procès de France Télécom (2)

May 11 2024 | 01:07:05

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Le discours sur la crise chez France Telecom n'est pas le même avant et après le verdict de culpabilité.

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[00:00:02] Speaker A: Le discours sur la crise chez France Télécom n'est pas le même avant et après le verdict de culpabilité. Vous écoutez Après court. On revient, on a parlé la dernière fois donc de l'affaire France Télécom et du procès, puis on a décidé de revenir parce que tout n'a pas été dit, bien au contraire, on en a parlé dans les grandes lignes avec nos réactions à différents aspects, différentes dimensions de ce qui a mené au procès et de comment le procès s'est conclu. Puis ça valait la peine, on a trouvé, de revenir là-dessus, parce qu'il y a tellement de choses, puis ça a été tellement un procès marquant que des leçons ont attiré de ça, puis une compréhension de la misère au travail, des relations entre des politiques managériales et la misère au travail. C'est des choses qui peuvent servir. à d'autres. [00:01:38] Speaker B: Oui, tout à fait. La souffrance aussi. Il y a ça... Il ne faut pas l'oublier parce que c'est comme n'importe quelle affaire qu'on explore. Il y a plein de mots, il y a des textes, il y a des livres, il y a des rapports. Puis des fois, il y a... plein de mots, plein de différents discours, mais dans ces cas-là aussi, il y a la réelle souffrance du monde qui a été même tellement bouleversante pour certains que c'était pas gérable, c'était pas intégrable. Il y avait de quoi de trop qui a amené à plein de passages à l'acte ou d'acting out. C'est pas une affaire diagnostique, mais plein de gens qui étaient pas capables de vivre avec ce qui se passait. [00:02:19] Speaker A: Qui sont arrivés au bout d'eux-mêmes, au bout de leur capacité psychique. [00:02:24] Speaker B: Fait qu'il y a cette souffrance-là qu'il ne faut pas oublier pour essayer de comprendre d'où ça vient. En même temps, il y a quelqu'un qui écoute nos podcasts. [00:02:34] Speaker A: Ah oui? Oui. [00:02:35] Speaker B: On. [00:02:37] Speaker A: Oublie, hein? [00:02:41] Speaker B: Mais à force de les obliger, il y en a qui le font. [00:02:43] Speaker A: OK. [00:02:44] Speaker B: À un moment donné, ils se sentent coupables de... C'est à force de se le faire demander. [00:02:49] Speaker A: Mais il y a quelqu'un qui me. [00:02:52] Speaker B: Disait, gentiment par ailleurs, pourquoi on avait consacré du temps l'autre fois dans la première partie, puisqu'on connaissait le jugement, on connaissait le résultat de ça, qu'il y avait eu des abus de la partie managériale, pourquoi on avait passé du temps à essayer de comprendre leur point de vue C'était quoi l'idée de ça? Puis c'est vrai, ça serait plus simple, ça serait vraiment plus simple de dire, bien, il y a des mauvais, il y a des bons, il y a des gentils, il y a des méchants. On sait c'est qui les méchants. [00:03:25] Speaker A: Parce qu'il y a un verdict. [00:03:26] Speaker B: Parce qu'il y a un verdict. [00:03:28] Speaker A: Oui. [00:03:28] Speaker B: Puis on peut juste expliquer comment les méchants ont fait subir des choses pas faines ou bonnes. Oui, c'est ça. Puis en restant là, pourquoi essayer de comprendre? Puis c'était une bonne question parce que c'est souvent ça qu'on fait dans le podcast. [00:03:42] Speaker A: Oui. Beaucoup, beaucoup. [00:03:44] Speaker B: Puis moi en particulier, de prendre la part de ceux qui ont été déclarés méchants, puis d'essayer de comprendre le point de vue ou de trouver les meilleures justifications pour expliquer. Puis le but étant, donc pour répondre à cette question-là succinctement, le but étant, je pense que quand on peut vraiment cerner les meilleurs arguments de défense de chaque partie qui s'oppose, d'une façon un peu, avec un certain recul, puis il y en a toujours, bien, ça permet de cerner au plus près, de créer une espèce d'interstice où tu dis, bien, voilà où sont les enjeux vraiment centraux. Puis là où peut-être, voici ce qui fait que justement ce point-là dans ce petit interstice est ce qui fait qu'il fallait qu'il soit déclaré coupable, disons. On a trouvé le smoking gun. Ou parfois c'est pas là-dedans, il y a quelque chose d'externe qui a été oublié, parce que des fois, il y a un faux cadre, puis il y a quelque chose d'externe qu'on peut aussi identifier, c'est ni oui, ni non, à côté, mais si ça, ils n'en ont pas tenu compte, puis il y aurait dû... Bref, c'est un peu ça l'idée, des fois, je trouve, dans notre réflexion de pourquoi on fait ça, c'est que ça permet... mais ça permet de mieux cerner les réels, le détail du vrai enjeu de Smoking Gun, et non de dire, ben, disons, ah, les méchants capitalistes, ils ont oublié les pauvres travailleurs, puis c'est tout. [00:05:20] Speaker A: C'est la fonction de l'avocat du diable. Le diable a besoin d'un avocat aussi. [00:05:25] Speaker B: Oui, c'est ça. [00:05:26] Speaker A: Mais c'est vrai que, en fait, je trouve ça vraiment intéressant, ce que tu dis, parce qu'il y a différents niveaux de lecture, puis je me rends compte comment c'est difficile d'intégrer, plutôt que de passer de un à l'autre, différentes dimensions ou différentes approches. Tu dois avoir une approche style littéraire, comme Sandra-Luc Baird qui a écrit là-dessus, à la mode j'accuse. C'est très... très proche de l'émotion, très proche de la défense des sans voix ou de ceux qui sont sans défense. Et quand on entre là-dedans, bien oui, les responsables sont teintés tout de suite, sont colorés tout de suite. On a ceux qu'on accuse d'exploiter, ceux qu'on défend. [00:06:23] Speaker B: Et ceux qu'on accuse, c'est des salauds. C'est ça. Voilà, c'est dit. [00:06:28] Speaker A: Même si c'est un système, même si ce qu'on accuse, c'est le système au complet, le système au complet est entièrement diabolique. [00:06:37] Speaker B: Oui, puis souvent, il y a une couple de têtes de Turcs, il y a une couple de salauds. On a l'impression qu'on peut dire qu'il y a une couple... Qui les incarne. [00:06:43] Speaker A: C'est les suppôts du système. [00:06:44] Speaker B: C'est ça. [00:06:45] Speaker A: Pour filer la métaphore. Puis quand on prend un peu de recul par rapport à cette lecture-là dans laquelle on peut être embarqué pendant un temps, on peut voir les choses d'une autre façon, du point de vue, par exemple, de gestionnaires qui appliquaient des méthodes qu'on leur enseignait en toute bonne foi, même si ça leur causait à eux un stress. Et là, bon, bien, la question, ça devient, mais comment est-ce que la mécanique s'est installée? C'est intéressant d'aller... Mais c'est pratiquement impossible, à moins que... En tout cas, pour moi, il y en a peut-être qui y arrivent mieux, d'intégrer ces différents niveaux de lecture-là ensemble. C'est passer d'un à l'autre. Quand toi, par exemple, je l'ai remarqué, quand toi, tu commences à articuler une défense du diable, ma réaction souvent, c'est de monter le temps. Il me semble, c'est que je deviens tout d'un coup comme un protectrice. [00:07:57] Speaker B: Des bonnes personnes. [00:07:58] Speaker A: C'est ça. Plus proche de la lecture littéraire d'une Sandra-Luc Baird, par exemple, que d'une lecture plus distante et raisonnée, scientifique ou... Surtout. [00:08:10] Speaker B: Que ma lecture, dans ce cas-là, au mon point de vue, il y a des écueils majeurs, dont, entre autres, Tu sais, quand tu défends toujours... Quand tu te fais l'avocat du diable ou tu défends celui au pouvoir, bien, tu peux te présenter comme neutre, mais t'es toujours dans le sens du pouvoir. [00:08:27] Speaker A: Oui, c'est ça. Oui. [00:08:28] Speaker B: Tout le temps. [00:08:29] Speaker A: Oui, c'est ça. [00:08:29] Speaker B: Puis on le voit. Tu sais, s'il y a une injustice qui se passe dans la société, puis... Quelle injustice il pourrait se passer, là? Tu sais, des propriétaires et des locataires ou des travailleurs ou des... des propriétaires de magasins, puis des jeunes de la rue, si tu prends le bord de la doxa, puis du pouvoir, puis tu relativises, tu pondères... Bien, ta neutralité, nécessairement. [00:08:58] Speaker A: Est au sens du pouvoir. [00:09:00] Speaker B: Ça, c'est un réel problème, parce que s'il y a trop de voix comme ça, bien, il se passe rien. Les gens en minorité restent en minorité. Toujours. Ça fait que c'est vraiment une fausse neutralité. [00:09:10] Speaker A: Puis c'est qu'en fait, c'est ce qui s'est passé chez France Télécom jusqu'à ce que les employés se mobilisent, que les syndicats se mettent dans... se mettent de la partie et que l'on commence à faire des enquêtes, puis à documenter, puis à articuler une... Et qu'on sollicite les médias aussi pour articuler un discours commun, qu'en fait, le front commun compte. [00:09:39] Speaker B: Oui, puis comme une espèce de franchir un certain seuil, puis de déchirer quelque chose, parce que sinon, la position de défendre et de comprendre l'abuseur, entre guillemets, c'est ce qu'on se réfère parfois à la position de l'idiot utile. [00:09:52] Speaker A: Oui, oui, c'est ça. [00:09:54] Speaker B: Lui, il répète, puis là, ils sont 20 à répéter comme ça les justifications des gens en place. Est-ce qu'il y a eu des abus? Est-ce qu'il y a eu des exagérations, peut-être? Est-ce qu'ils ont fait le mieux qu'ils pouvaient? Certainement. Est-ce que vous auriez fait mieux? Jamais. Blablabla. Et là, on se dit, OK, bien, ils ont bien fait de bafouer toutes les droits de tout le monde. Puis il y en a beaucoup d'idiots utiles. Puis donc, c'est vraiment le reproche qu'on peut faire à une position comme ça. Et donc, c'est pas toujours bon de la prendre. Mais parfois, il y a une utilité surtout dans l'après-coup. Parce que le jugement est rendu. Dans l'après-coup, de regarder puis de décortiquer les ressorts de comment ça peut se passer, c'est moins être dans le sens de défendre le pouvoir dans une cause en direct. Ça fait que j'étais moins un idiot utile qu'un utile utile, je sais pas quoi. [00:10:46] Speaker A: Mais c'est aussi le fait, c'est le désir de comprendre. C'est pas tellement le désir de défendre. Je pense qu'il est derrière ça. C'est pas parce que quelqu'un commet un crime et est reconnu coupable du crime qu'il a commis que d'essayer de comprendre, c'est essayer de le défendre, en fait. [00:11:04] Speaker B: C'est ça. Puis tu te rappelles, moi, j'ai fait ça il y a longtemps, longtemps, longtemps, quand... Fabricante avait tué du monde, la tuerie à Concordia. Puis évidemment, quand ça se passe, c'est un drame, puis il y a des victimes, il y a des gens, il y a des professeurs qui sont morts. Mais après, plusieurs années après, on peut dire... dans sa folie ou dans l'élucubration paranoïaque qu'il y avait du système qui l'oppressait, est-ce qu'il y avait certains fondements? Est-ce qu'il y avait des choses qu'on peut retirer? Est-ce qu'il y a des leçons à faire de ça? Puis évidemment, plus le temps passe, plus c'est correct de le faire, parce que t'es pas en train de bafouer les victimes ou de justifier quoi que ce soit. Mais là, la question, c'est toujours à partir de quand? Qu'est-ce qui est trop vite? Qu'est-ce qui est trop tard? Si t'attends trop, tu tires plus de leçons. Tu sais, ça fait 30 ans, tu te rappelles plus c'était quoi vraiment, ce qu'ils disaient, ce qui se passait. Fait que si t'attends trop, tu tires plus de leçons. Si tu le fais trop vite, c'est disgracieux pour les victimes. Je veux dire... Il y a un drame qui vient de se passer, puis t'es là à essayer de comprendre pourquoi il y avait raison sur certains points. Ça n'a pas de sens. Mais donc, c'est quoi le temps juste? Parce qu'on voit comment ça fonctionne comme de la raison dans la société. À partir d'un certain temps, ben tu sais, c'est fini. Tu peux plus tirer de leçons d'une affaire parce que ça fait... J'ai fait trop longtemps. On est passé à d'autres choses. Il y a d'autres choses qui se passent. J'ai manqué mon coup dans ce cas-là. J'ai manqué mon coup dans ce cas-là. [00:12:33] Speaker A: Comment ça? [00:12:34] Speaker B: Moi, je pense qu'on aurait pu tirer des meilleures leçons de ce qui s'est passé dans la tuerie de Concordia avec Fabricant, mais à un moment donné, ça vient trop tard. [00:12:41] Speaker A: Toute la question de... la souffrance, on y revient, l'émotivité, puis le désir, l'identification des gens qui sont interpellés parce qu'ils lisent dans les journaux aux victimes, qui rend le commentaire immédiat inapproprié. Mais là, c'est ça, quand est-ce qu'on peut? On a besoin d'une distance, pas juste pour éviter de blesser davantage des gens parce qu'on respecte pas leur sensibilité, leur perte, leur souffrance, mais aussi parce qu'on n'a pas nécessairement le meilleur point de vue quand on essaie d'analyser les choses à chaud. parce qu'on est dedans, veut, veut pas, l'expression émotionnelle, ce qu'on lit dans les journaux, ce qui se passe dans les journaux aussi. Par exemple, il y a eu un des derniers suicides de cette vague qui s'est à peu près, à ce que j'ai compris, terminée en 2011, quand Didier Lombard est parti. Donc un des derniers suicides est particulièrement spectaculaire. le suicide de Rémy Louvradou, qui était au mois d'avril 2011, dont le fils, tu sais, on en a parlé, le fils peine encore, il peine à accepter le verdict. Lui, ce qu'il voulait, c'était des accusations beaucoup plus sérieuses parce qu'il estime que c'est un homicide, en fait, que son père ait décédé par une volonté qu'ils décèdent. Oui, c'est ça. [00:14:38] Speaker B: Et donc des vraies conséquences, pas juste des conséquences symboliques. qui est une vraie conséquence en soi, mais je pense que son propos, c'était pas juste symboliquement, vous avez eu des torts, mais voici ces déguisoirs que vous devez payer en amende, puis vous êtes libre de continuer votre vie, mais une conséquence, j'allais dire réelle, où tu dois faire de la prison, puis t'es privé de ta jouissance de liberté, que tu payes de ton corps, il y a quelque chose que tu dois payer, et non de les voir un peu... bavarder pendant le procès, puis s'endormir, puis manger, puis me calmer. [00:15:10] Speaker A: Bien, puis se retourner comme là, faire une entrevue, là. Je suis tombée sur un clip YouTube, là, où on interviewe Didier Lombard, là, ça date de l'année dernière, sur sa vision de la réforme de l'industrie, comme si de rien n'était, en fait. Oui, c'est ça. [00:15:27] Speaker B: Bien, en fait, je pense que c'est ça, son point. Il peut continuer comme si de rien n'était. [00:15:33] Speaker A: C'est insupportable et c'est d'autant plus insupportable que le décès de son père a été particulièrement spectaculaire et douloureux. et pour lui et pour les lecteurs de journaux, t'sais, les auditeurs de bulletins télévisés qui ont entendu cette histoire-là au moment où elle se passait. Puis là, ça devient difficile à chaud comme ça de dire, oui, bien, c'est... Est-ce qu'on peut penser qu'un geste aussi dramatique... peut être attribuable à des hauts dirigeants d'une entreprise quand c'est un passage à l'acte individuel. C'est délicat. Et on n'a pas tous les outils ou tous les éléments pour analyser correctement, en fait. On n'a pas assez de recul, même quand on essaie d'avoir du recul. [00:16:30] Speaker B: Surtout que, bon, ça faisait partie de la défense des dirigeants de dire, bien, moi, je les connais pas, ces gens-là. [00:16:34] Speaker A: Oui, c'est ça. [00:16:34] Speaker B: Je les ai jamais rencontrés personnellement. J'ai jamais vu. Alors, comment leur... leur constellation psychique, personnelle, j'ai aucune idée. Mais en même temps, tu sais, dans ces actes-là aussi, il y a de l'adresse, c'est-à-dire que, tu sais, beaucoup, souvent, c'est fait proche des lieux de travail. Il y a une lettre qui est écrite en disant, je tiens responsabilité. [00:16:53] Speaker A: Oui. [00:16:56] Speaker B: Tu peux aussi comprendre certains de ces gestes-là, peut-être pas tous, mais certains des suicides comme quasiment, par le geste, comme quasiment voulant dire, par le geste que je vais faire, les personnes responsables ne pourront plus faire comme si de rien n'était. Je marque quelque chose. Et je pense que ça fait partie de ce qui est intolérable pour le fils de dire, bien non, il continue comme si de rien n'était. [00:17:23] Speaker A: Puis donc, c'est ajouter à l'intolérable que de dire oui, mais enfin, est-ce que la politique managériale, on peut... Blablabla. [00:17:35] Speaker B: – Regotter sur pourquoi pas, le capitalisme, la compétition, intéressant. [00:17:39] Speaker A: – Oui, c'est ça. Mais en même temps, il faut. éventuellement, dans un monde idéal, le faire, prendre ce recul-là puis analyser parce que c'est ce qui peut nous protéger de la loi d'Utallion. [00:18:01] Speaker B: Non seulement ça, c'est que non seulement ça, mais des fois les plus grands défendeurs des victimes et de ce qu'ils ont vécu, puis ils ont raison à bien des égards, mais si tu les mets dans une situation semblable, du côté du patronat, parfois, c'est les pires. [00:18:18] Speaker A: Puis là, tu te dis, OK, mais... [00:18:19] Speaker B: Elle est bonne, celle-là, non? [00:18:25] Speaker A: C'est l'histoire des révolutions, en fait. À bas le tyran, voici le tyran. [00:18:32] Speaker B: Voici le nouveau tyran. C'est vraiment une révolution littéralement. C'est l'éternel retour du même au même point. Puis on l'a vécu, tu te rappelles, on a déjà vécu dans notre jeune temps des combats, des trucs syndicaux, disons, où t'as un responsable du syndicat qui est vraiment pour les travailleurs, contre le patronat, puis il défend tout ça, puis à un moment donné, pas si longtemps après, il est rendu du côté du patronat, puis il refait les mêmes affaires en pire. Mais bref, donc ça amène la question. qu'est-ce qui fait qu'on est si sûr, toi, moi, le monde qui écoute, le monde qui... que dans une position similaire, avec un... en se faisant donner un mandat similaire à ce qu'ont vécu à France Télécom, c'est-à-dire qu'il y a quelqu'un qui dit là, il faut rationaliser, il faut économiser de l'argent, il faut que les gens partent. Qu'est-ce qui fait qu'on est si sûr que nous, on ferait différemment? [00:19:30] Speaker A: En fait, c'est peut-être la raison d'être de tout le podcast. C'est la raison, je pense. Il me semble, c'est la question fondamentale. Il me semble. Est-ce que le capitalisme, c'est mieux que le communisme ou le socialisme? Ou est-ce qu'on peut imaginer un meilleur monde possible? Est-ce que les patrons sont pires que les employés? Est-ce qu'un syndicat, c'est toujours à la défense des travailleurs? Est-ce que quelqu'un qui commet un crime est toujours nécessairement une méchante personne? Est-ce qu'une personne qui est victime de crime a toujours nécessairement rien fait? C'est beaucoup des histoires d'humains entre humains. C'est très complexe. Puis la question revient souvent à ça. Est-ce qu'il y a quelque chose qui explique tel passage à l'acte ou telle déviance par rapport à la loi ou par rapport à la morale ou par rapport à la norme? Est-ce que les circonstances éclairent? Est-ce que... Est-ce que les gentils sont nécessairement ceux qu'on pense? Est-ce que les méchants sont nécessairement ceux qu'on pense? C'est pas... C'est rarement facile à... Et puis nous, dans cette position-là, moi, j'aurais fait quoi? [00:20:55] Speaker B: Puis sans vouloir trop en révéler sur nos névroses respectives, il était probable que juste avant le podcast, puis on peut le dire, on le couperait si on n'aime pas ça, on était tous les deux en train de se dire, par rapport à d'autres choses tout à fait, on n'avait pas cet élan-là de prendre des positions de pouvoir où on avait une autorité claire et symbolique avec des gens. Mais entre autres peut-être parce qu'on a peur soit d'en abuser ou que les gens nous accusent d'en abuser et qu'on se défend de ça. Moi, j'ai eu des occasions, moi, dans ma carrière, mon illustre carrière de sans-pouvoir, de prendre des positions avec un certain pouvoir, c'est-à-dire de l'autorité, de gérer des gens, tout ça. Puis je cherche pas ça, j'aime pas ça. Mais donc, parce que nécessairement, quand t'es dans cette position-là, bien là, tu reçois des mandats du supérieur qui disent, convaincs tes gens de faire ça. puis il faut que tu sois d'accord. Là, tu peux te faire reprocher d'être pour le pouvoir. Il y a toute cette affaire-là, puis les gens peuvent... Donc, est-ce que ça nous tente, est-ce que ça tente de se faire reprocher par des pro-gens, d'être du côté du patronat, maintenant, avec tout ce que ça peut comprendre? Bref, c'est pas si facile quand t'as une commande qui est légitime à bien des égards d'une autorité supérieure que tu dois renforcer à du monde, de bien délimiter ce qui est bien, ce qui est mal, qu'à partir du moment, quels seuils sont franchis, à quel niveau, pourquoi, parce que c'est pas si simple. Tout à fait. [00:22:35] Speaker A: Puis il y a ce que tu représentes aussi. [00:22:38] Speaker B: Oui. [00:22:39] Speaker A: C'est-à-dire que du moment que tu occupes une fonction, symboliquement, ce que tu représentes aux yeux de tes subalternes, c'est plus la même chose que ce que tu représentais pour eux juste avant d'occuper cette fonction-là. Tu deviens comme quelqu'un d'autre. [00:23:00] Speaker B: Oui, le transfert prend. [00:23:05] Speaker A: S'Illusionner soi-même, se confondre soi-même avec la fonction, c'est-à-dire aimer ça. Mais ça ne va pas de soi qu'on veut représenter quelque chose, qu'on ne se sent pas être soi-même. [00:23:25] Speaker B: Alors, dans ce cas précis, pour revenir à France Télécom, parce qu'il y a le grand dirigeant Lombard, mais il y avait plein de gens autour de lui, plein, plein de gens dans les fonctionnaires, dans les chefs et les sous-chefs, qui n'ont pas nécessairement sonné l'alarme si vite. Et c'est d'eux aussi qu'on pourrait parler, on peut toujours dire du grand patron, bien, par définition, à cause de son grand statut, il était un peu déconnecté de ce qui se passait. Ça fait que comment lui reprocher de ce qui se passe dans une filiale à 100 kilomètres d'une personne qu'il n'a jamais vue? Mais il y a du monde, à un moment donné, qui savait ce qui se passait et qui n'ont rien dit. Mais donc pourquoi ils n'ont rien dit? Et à quel, encore là, à partir de quel palier c'est inexcusable ou inacceptable? [00:24:17] Speaker A: Ils ont fondé une école, c'est ce que j'ai appris récemment. Ils ont fondé l'école de managers de France Télécom en 2005. Et dans cette école-là, les gestionnaires apprenaient à être gestionnaires pour France Télécom. Ça fait que déjà en partant... Oui, merci. [00:24:40] Speaker B: C'est ça, c'est un très bon segue. Imagine-toi, oui, t'es formé à convaincre des gens de la nouvelle mission, puis on t'explique dans la formation comment il y en a qui vont pas se laisser convaincre, mais comment il faut les convaincre. Fait que t'es déjà dans la perspective d'il y en a qui vont résister, il y en a qui vont s'accrocher au passé. On t'explique les stades du deuil ou de la résistance au changement. [00:25:08] Speaker A: Oui, c'est ça, on pervertit la... comment dire, les étapes du deuil pour s'en servir, pour expliquer aux gens qu'en fait c'est comme ça que les gens vont... pour expliquer aux gestionnaires qu'en fait c'est comme ça que les gens vont réagir et comment faire face à ces réactions-là. Oui. C'est... c'est particulier. Puis ce qui est particulier aussi, c'est que... Une école, c'est un lieu de savoir. Donc, en théorie, quand tu t'inscris à des cours, quand tu vas à l'école, c'est pour apprendre. Dans ta tête, t'es pas là pour remettre en question ce qu'on va t'apprendre. Toi, t'es là pour recevoir. Des connaissances. [00:25:51] Speaker B: Ça peut être assez légitime, quelqu'un de sympathique, une bonne personne vient t'enseigner et t'explique une mission qui t'apparaît tout à fait raisonnable. On a un déficit, on ne veut pas fermer, on veut protéger les emplois, la compétition L'éclatement de la technologie amène de la compétition de l'extérieur. Il faut pouvoir être un joueur qui compétitionne avec les autres grandes compagnies en télécommunication. On doit donc modifier nos façons de faire. C'est le fond, on va être meilleur. On va offrir un meilleur service à nos clients. Il faut maintenant convaincre plein d'employés de changer leur façon de faire, de s'améliorer. On va rentrer dans une nouvelle ère de meilleure performance, de meilleure efficacité. Il faut convaincre le plus de gens possible d'embarquer pour qu'ils s'améliorent. Voici comment on va faire. C'est pas si far-fetched de penser qu'il y a des gens qui disent, bien, moi, j'embarque. [00:26:52] Speaker A: C'est ça, on te dit pas, on va maltraiter les employés. Tu sais, c'est pas ce que les gens pensent qu'ils s'en vont faire nécessairement. On te dit, on va améliorer les choses, on va être exactement ce que tu dis. Toi, c'est ce que t'apprends. Puis après, c'est ce que tu vas appliquer. [00:27:10] Speaker B: Puis t'apprends comment ils pourraient parfois ne pas être d'accord, puis comment contourner ça. Ah bien, c'est intéressant. [00:27:16] Speaker A: Mais oui. [00:27:18] Speaker B: Je veux dire, c'est vrai, c'est intéressant. Puis t'apprends même des fois comment il y en a peut-être que, bien, c'est plate, mais ils sont un peu dépassés. Nonobstant le fait qu'ils ont peut-être consacré beaucoup de belles années de travail à France Télécom, ils ne pourront pas embarquer qui sont trop vieux, trop enclés dans leur vieille façon de faire. Peut-être qu'ils vont devoir partir. On va s'occuper d'eux pour qu'ils partent dignement. C'est le cycle de la vie. Je peux penser qu'il y a du monde qui est en bas. [00:27:51] Speaker A: Il y a un autre système aussi qu'ils apprennent à utiliser, c'est le système des évaluations de performance, qui prévoit d'office qu'il y a peut-être 10 %, disons, je sors un chiffre, 10 %, disons, dans une équipe qui vont être au bas de l'échelle, qui ne seront pas au niveau de performance attendu. Ça, c'est la prémisse. Ça fait qu'on construit le système d'évaluation de manière à révéler ça pour qu'on arrive à identifier c'est qui les 10 % qui ne sont pas à la hauteur. Et donc là, si le manager dit, mais en fait, moi, mon équipe est super performante, On va faire la liste de qui est meilleur, qui est meilleur que qui, qui score plus fort que qui sur l'échelle de ceci, cela. Nécessairement, il y en a deux dans ton équipe de 20 qui vont être en bas. C'est-à-dire que c'est eux qui vont partir. [00:29:01] Speaker B: Puis donc, ça va augmenter ta performance et ton bonus. C'est sûr. Bon, bien, j'embarque. [00:29:07] Speaker A: Mais ça semble... [00:29:10] Speaker B: Si tu gères un marché d'alimentation, puis t'as plein d'idées, puis tu crées plein de produits, des produits tout-faits, toutes sortes de produits qui est innov, innov, innov, puis à chaque trois mois, à chaque six mois, tu regardes c'est quoi tes meilleurs vendeurs, puis ceux qui sont moins populaires, bien, à un moment donné, tu les élimines. [00:29:31] Speaker A: Ben oui, c'est logique. [00:29:33] Speaker B: Je fais une lasagne toute faite à 20 piastres. Personne ne l'achète. C'est tout. On va faire d'autres choses. Les gens adorent le pâté chinois. [00:29:39] Speaker A: Oui. [00:29:40] Speaker B: On peut prendre des métaphores culinaires. Ça fait grossir dit comme ça, parce que dans ce cas de France Télécom, c'est des gens, ce n'est pas des produits. On le conçoit, mais c'est la même logique à un moment donné. [00:29:55] Speaker A: Mais oui, mais c'est ça. Mais c'est comme ça qu'ils pensent aussi. C'est comme ça qu'ils sont formés aussi. Tout le discours des ressources humaines, en fait, c'est ça. La masse salariale, c'est comme l'inventaire. T'sais, d'un côté, t'as l'inventaire, puis de l'autre côté, t'as la masse salariale. [00:30:12] Speaker B: Mais surtout, si tu finis par dire, mais tu sais, si, mettons, toi, tu es le gestionnaire, puis moi, je suis le prof, là, puis je t'ai dit, oui, c'est ça, tu es le gestionnaire, puis je t'ai dit, mais tu sais, les deux personnes souvent qui performent moins, on va s'occuper d'eux pour leur, en fait, pour qu'ils puissent sortir dignement, puis trouver quelque chose d'autre dans la vie qui leur convient mieux. Entre autres, à cause de la twist technologique, où là, on dit, bien, regarde, une des raisons pourquoi ils performent moins bien, c'est que vraiment, là, dans ce temps-là, on est en 2006, 7, 8, 9, 10, et il y a beaucoup de changements technologiques. C'est, en fait, hallucinant comme on rentre dans un tout nouveau monde. Puis quand on voit les vieux documentaires, même, ça a beaucoup changé depuis 2010. On les voit sur leur écran avec des... Tu sais, il y a 60 fenêtres qui s'ouvrent. C'est encore très primitif quand on regarde avec nos yeux d'aujourd'hui la technologie. Mais pour certains, ils avaient fait toute leur carrière sans ordinateur. Alors, d'être obligé de tout cliquer puis rentrer. Alors donc, bref, tu dis au gestionnaire, tu sais, ce mouvement-là, technologiques, ils nous dépassent tous, là. On peut pas combattre ça, là. C'est comme ça. Certains ne pourront pas embarquer, ils ne voudront pas, bien, on va leur trouver d'autres choses à l'extérieur qui leur convient mieux. Puis du reste, on entend dans les documentaires, les gens recevaient des courriels qui disaient, là, il y a un poste de boucherie qui s'ouvre en face. Peut-être que tu serais mieux à couper de la viande, là. T'aurais pu à cliquer sur 40 fenêtres puis à pas comprendre, là. Est-ce que quelqu'un, si t'es gestionnaire, tu pourrais te laisser convaincre de dire, effectivement, c'est pas personnel, mais il fitte plus dans le nouvel environnement, on va... [00:32:02] Speaker A: C'est difficile. Tu sais, l'idée de la bande de Moebius, tu sais, qui a une surface à l'extérieur, une surface à l'intérieur, mais si t'es une fourmi qui marche, tu changes jamais de côté. En fait, t'as l'impression que t'es toujours sur la même surface puis que tu marches en ligne, mais tu fais que tourner. Je trouve ça intéressant comme métaphore de la perspective qu'on a ou qu'on n'a pas sur les choses. Si t'es dans le système, t'es à l'intérieur et t'es formé, t'es l'avenir en fait. de l'entreprise, parce que, là, on t'apprend à embrasser toute l'autoroute informatique des nouvelles technologies qui sont l'avenir, et tout ça, et tout ça. Et que, dans le cadre de ta formation et dans ce qu'on te propose comme bonus, si tu atteins tes objectifs, parmi lesquels réduire la masse salariale dans ton équipe, augmenter la productivité, et autre chose de cette nature, parce qu'aussi, les gens ont de plus en plus de pression, répondre à un appel en sept minutes, puis ils rentrent au dé, ils vendent, ils se mettent à être décommettés, tout ça. si t'es dedans au quotidien, au jour le jour et que t'es toi-même débordé parce que ça t'affecte aussi, il y a eu une augmentation de la charge de travail en plus conséquente, la perspective que t'as sur ce que tu fais ou sur les conséquences de ce que tu fais et pas la même que si t'avais le loisir de prendre un pas de recul puis de regarder ça à vol d'oiseau ou de te rappeler de tes années révolutionnaires, quand t'avais 18, 19 ans, puis que tu faisais la grève à l'école. T'es dedans. Donc, c'est pas nécessairement de la méchanceté ou de la... par conscience... ou tu sais, que tu fais ce que tu fais, pour certains, autant que t'as juste plus de perspective. [00:34:16] Speaker B: Oui, oui, tout à fait. Puis on a écouté tous les deux, hein, le documentaire Orange... -"Orange à mer". -"Orange à mer", puis ça m'a frappé à l'écoute de ce documentaire-là, forcé d'admettre que... Il y a certaines personnes qui nous montrent, des jeunes qui arrivent dans la compagnie, qui ne vivent pas ça si difficilement. [00:34:38] Speaker A: Oui, au contraire. Oui, tout à fait. Ça m'a frappée aussi. [00:34:41] Speaker B: Je ne veux pas banaliser la souffrance de ceux qui l'ont vécu difficilement, mais il y a un truc générationnel aussi. Il y a un truc d'avoir rien connu de différent. Fait que les jeunes arrivent puis disent non, non, le fait que maintenant, Il faut faire le plus de ventes possible, puis qu'on soit récompensé, puis qu'on ait des bonus si on vend plus, puis qu'il y a des trucs à rentrer à l'ordi. Moi, ça me motive plutôt. Il y en a un qui est assez candid par rapport à ça. Je ne sais pas c'est quoi le problème. Mais c'est sûr que sa réalité est complètement différente du gars qui était un monteur. qui allait sur les chantiers, grimper dans les poteaux, puis arranger des fils. Puis là, il a 58 ans, puis là, qui prie devant un ordinateur, qui marche un peu tout croche, qui connaît pas, qui comprend pas que c'est pas son style de travail. [00:35:23] Speaker A: Et aussi qu'on l'a mis là exprès. Oui. Pour le démotiver et l'inciter à partir. [00:35:31] Speaker B: Oui, pour épurer la masse scénariale. [00:35:33] Speaker A: C'est ça. [00:36:09] Speaker B: Il y a toute cette dynamique. C'est un laboratoire incroyable, une situation comme ça, parce qu'il y a des milliers et des milliers de personnes dans différentes régions, dans différents bureaux. Chaque région, chaque bureau, chaque profession ayant parfois une culture qui leur est propre. Et donc, on disait tantôt, nécessairement, des nouveaux managers qui se font former à convaincre les récalcitrants, en fait, de rentrer dans la modernité et dans le nouveau système, et qui embarquent, puis qui sont d'accord, puis qui voient le positif de l'affaire. Fait que c'est un cas de figure, mais il y en a plein de cas de figure. Il y a aussi sûrement, même si on n'a pas eu beaucoup d'exemples dans le documentaire Orange à mer, mais les cas de figure de gens qui étaient des collègues, donc mettons, pour prendre un exemple, 10 personnes qui travaillaient à monter dans les poteaux pour arranger les fils, puis là, d'un coup, qui se retrouvent à faire de la vente derrière leur ordinateur, mais qui sont pas solidaires l'un pour l'autre. Il y en a dans les 10, deux, trois qui vont dire au patron, tu sais, un tel et un tel et un tel, ils ont de la misère, mais moi, ça va. Moi, I'm all in. Donc de la rivalité aussi entre différentes paliers, c'est sûr que ça s'est passé aussi et que ça peut contribuer au désarroi parce que là, non seulement t'es déstabilisé par tout ce qui se passe, mais tes propres collègues te tournent le dos. T'imagines? Parce que ça, c'est oublié dans la version post-jugement où il y a des bons et des méchants, puis le méchant, c'est le grand patron. C'est sûr qu'il y a des gens qui sont sentis trahis par leurs collègues. Puis que là, le sentiment de solitude est d'autant plus grand, parce que c'est même pas on est ensemble, solidaire, compte, c'est je suis rendu tout seul. Et donc, vraiment, la... [00:38:03] Speaker A: C'est cool ce qu'il y a... Comme on veut l'expression, il y a de l'homme, il y a de la marie, dans le sens... C'est ce qu'on disait tantôt, c'est... que si t'es un gestionnaire et que là tu vas être formé à l'école de gestion de ta compagnie, ben là tu reviens avec des bonnies points, t'as comme une sorte de promotion d'estime parce que t'as reçu la formation. Mais à partir de là, comment toi tu te comportes avec ceux qui étaient tes collègues ou avec ceux qui sont dans ton équipe? Surtout si toi-même tu as de la pression, ça joue beaucoup sur comment les éléments dans ton équipe, qui sont compétitifs, vont sentir qu'ils peuvent prendre de la place ou pas prendre de la place. En écarter un, disons... Tantôt on disait. [00:38:53] Speaker B: Tu prenais l'exemple de 20 personnes, on en écarte 10%, 2. Admettons que t'es dans les 20, puis toi t'en as beaucoup sur la patate contre l'échangement et le patron, mais t'as une hypothèque, puis c'est pas le moment que tu sois éliminé, ça t'arrange pas dans ta vie. Ça se peut. Puis là, tu sens que dans l'équipe, il y a un weak link. Puis tout le monde le sent qu'il y en a un ou deux, que dans le fond, ça pourrait être ces deux-là. Mais ça se peut bien que... T'sais, c'est comme un requin qui voit du sang, qu'à un moment donné, tout le. [00:39:21] Speaker A: Monde se... Ben parce que tu veux pas que ce soit toi. [00:39:23] Speaker B: Ben c'est ça. Là t'es ça les victimes en potentiel. Fait que pourquoi pas pointer dans la bonne direction pour pas que ce soit toi qui es cop. C'est ça. [00:39:31] Speaker A: Tu sais, tu parlais la dernière fois, t'évoquais l'idée, tu sais, de favoriser la précarité. Certaines entreprises ou, disons, le monde capitaliste veut favoriser ou t'évoquais quelque chose comme ça, favoriser la précarité parce que la précarité, En théorie, c'est motivant. Ça fait des employés plus dociles, disons. Ou créatif, là, selon... Ou créatif, mais ça fait ça aussi, la précarité, ça exacerbe les compétitions. [00:40:09] Speaker B: Oui, c'est ça. [00:40:10] Speaker A: Les batailles imaginaires. [00:40:11] Speaker B: Oui, oui. [00:40:12] Speaker A: Si je suis pour perdre mon poste, si quelqu'un doit perdre mon poste, ce sera pas moi, puis je vais aider le manager à décider que ça va être lui. De toute façon, lui, ça fait longtemps qu'il me dérange, puis qu'il m'a fait ci l'année passée ou... Tu sais, je l'aime pas, je veux qu'il s'en aille. Puis il y a aussi l'autre chose quand même, quand on parlait tantôt du survivant, c'est-à-dire du fils dont le père s'est suicidé, puis qui, lui, va sur les plateaux de télé pour dire comment ce jugement-là, donc contre France Télécom, c'est insuffisant, c'est insuffisant par rapport à... l'ampleur de ce que lui a vécu. Puis il le digère mal. Il a l'impression qu'il y a rien vraiment qui a été accompli. Il y a le fait que c'était pas... le procès visait pas à ne parler que des suicides. Les suicides, c'était des indicateurs, des signes du mal-être généralisés au sein de l'entreprise. Mais qu'aussi, après un drame comme ça, même si la personne, son objectif, un de ses objectifs est de laisser un message, après un drame comme ça, si ce message n'est pas entendu... il y a quand même souvent l'effet, pour les collègues et les proches, de dire, ah oui, mais je savais pas, j'aurais pu l'aider si j'avais su. Il y a une approche solennelle qui était peut-être pas là avant. C'est comme il y a aussi la bascule qui vient après un acte. [00:41:57] Speaker B: Non, la bascule, oui, c'est incroyable. Tout à fait. Puis on le voit tout le temps. Il y a quelque chose qui se passe. Tu te rappelles, on a fait un podcast sur Elisabeth Onze? [00:42:07] Speaker A: Oui. [00:42:08] Speaker B: C'est ça, son nom? Oui. C'est une fois qu'on sait, une fois que le jugement est rendu, une fois que le livre est fermé, puis là, les gens disent, ah, c'était une fraude. C'est comme si tout le monde l'avait toujours su. Ou si, s'il ne l'avait pas su, c'est parce qu'il n'était pas au courant, mais s'il avait été au courant, ça l'aurait apparu comme évident. Mais pourtant, pendant, ce n'était pas ça. Il y a toujours ce mouvement-là aussi. Ce n'est pas pour rien qu'on a appelé le podcast « Après coup », pareil. C'est que pendant que ça se passe, Il peut souvent y avoir un long flottement où c'est pas sûr. Puis là, à un moment donné, ça devient... Le jugement est rendu pour prendre cette métaphore-là. Et là, tout le monde se dit, bien, à voir. Maintenant, on le sait. [00:42:53] Speaker A: T'as aussi le truc, c'est qu'avant que le jugement soit rendu, puis avant que ça se soit rendu en procès, avant que ça ait été pris au sérieux, il y a les lanceurs d'alerte qui ont peur et qui peuvent payer cher. [00:43:09] Speaker B: Oui, c'est ça, c'est bon, je pensais justement à ça. [00:43:14] Speaker A: À qui rien ne garantit que ça va valoir le coup, parce qu'il y en a eu ailleurs des lanceurs d'alerte qui ont été juste sacrifiés, puis ça a été fini, puis il y a rien qui a changé. [00:43:21] Speaker B: C'est pour ça que le rôle du lanceur d'alerte est si ingrat pareil. [00:43:25] Speaker A: Oui. [00:43:25] Speaker B: Et que toi puis moi, des fois, on s'énerve contre les gens qui ont l'air trop pontifiés une fois que tout est fini. Oui. Parce que, OK, là, t'étais où pendant que ça s'est... T'étais là, puis t'aurais... Tu sais, c'est facile, quand c'est fini, de dire, ah, mais... Bien, c'est ça, il était donc méchant, il faut décrier ses méchants, ou... [00:43:44] Speaker A: Lui, avant, il était venu te voir avec un rapport. Il t'avait dit, bien, il faut faire quelque chose, mais c'est pas possible. Et puis, qu'est-ce qui est arrivé? C'est qu'il a été renvoyé. [00:43:51] Speaker B: Oui, c'est ça. Ce serait quand même un bon moment de revenir sur quelque chose de très, très précis, très, très concret. Tu sais, quand je parlais tantôt d'essayer de voir les arguments de chaque partie qui s'oppose, puis de resserrer ça pour essayer de trouver vraiment c'est quoi l'enjeu. Je pense que c'est important de le dire parce que, Un des arguments du patronat, c'est de dire qu'il faut évoluer. Il y a de la compétition dans le monde. Il y a des nouveaux joueurs. Il faut changer nos façons de faire. Si on ne le fait pas, on va mourir. La compagnie va fermer. On ne va pas juste perdre 10 % ou 20 % des emplois. On va tous les perdre. Il faut changer. Mais bon, et ça, ça se reçoit, ça se conçoit. Mais de dire ça, c'est un peu périphérique, en fait, c'est un peu racoleur, parce que ça... ça mène en face sur quelque chose d'autre que ce qui a peut-être vraiment fait souffrir les gens, c'est-à-dire de se faire déplacer et baloter partout, physiquement. Je veux dire, c'est une chose, comme employé, de se faire dire, bien, il va falloir qu'ils taillent un ordinateur puis que t'apprennes à être plus rapide. C'est pas aussi déstabilisant, là, que, d'un moment donné, de te retrouver physiquement dans un autre bureau, loin que chez vous, à perdre des repères. Et ça, ça s'est passé. Et c'est beaucoup aussi ce qui a déstabilisé les gens nécessairement. [00:45:26] Speaker A: Mais by design, comme on dit en français, exprès, en fait, c'est fait exprès de déstabiliser. C'est ce qui est bien du jugement, du fait qu'il y a un verdict de culpabilité, c'est qu'on a pu démontrer devant une cour de justice, ce qui n'est pas donné, ce qui n'est pas facile, démontrer l'intention Il y a une intention de faire partir les gens, puis comment les faire partir, c'est en les faisant bouger, mais pas n'importe comment, puis pas doucement, en les faisant bouger exprès pour les déstabiliser, exprès pour leur faire perdre leur repère. [00:46:09] Speaker B: Donc toi, expert ingénieur à Lyon, tu te retrouves téléphoniste à vendre des packages de téléphonie à Paris. [00:46:20] Speaker A: Oui. [00:46:21] Speaker B: OK. [00:46:22] Speaker A: Oui. [00:46:23] Speaker B: C'est vrai que c'est complètement différent en force et en grandeur que de dire, regarde, malheureusement, On ne prend plus Apple, on prend Windows. Il faut que tu t'adaptes au nouveau système. Non, c'est ça. [00:46:33] Speaker A: Oui, c'est ça. [00:46:33] Speaker B: Et là, on pourrait dire vraiment, mais c'est vrai, ceux qui résistent, ils résistent. Il faut... Le changement fait partie du travail. [00:46:41] Speaker A: Puis c'est là qu'il y a quelque chose que j'ai trouvé vraiment intéressant dans l'approche de Sandra Lugubert, qui est donc écrivaine, qui a décidé de faire un peu comme Anna Arendt au procès de Nuremberg, au procès d'Eichmann, c'est d'assister au procès puis d'en rendre compte, mais dans une approche littéraire, en se disant, bien, les mots du management, ce qu'elle appelle les mots du capitalisme en fait, le néo-capitalisme, nous emprisonnent. Il faut refuser ces mots-là et parler autrement de ce qui s'est passé si on veut pouvoir le comprendre. [00:47:28] Speaker B: Et ne pas être emprimé dans une certaine logique qui ne permet plus de rendre compte de quelque chose qui n'est pas intégrable. [00:47:38] Speaker A: Si tu parles de... Je regardais le rapport que tu m'as envoyé. C'est Technica, Technologica, qui est l'entreprise qui a été mandatée par France Télécom pour analyser ce qui se passait parce que c'était une vraie crise. C'est une soixantaine de suicides et une quarantaine de tentatives de suicides en trois ans à peu près. Il fallait faire quelque chose, donc ils ont mandaté une entreprise qui a envoyé un rapport. Mais cette entreprise... Ce rapport-là, donc, est truffé de mots comme... On a Turnover, on a Cashflow, on a... Donc, managerial, on l'emploie depuis les deux derniers podcasts. Le management, le... [00:48:19] Speaker B: La gestion de changement. [00:48:20] Speaker A: La gestion de changement. C'est ce qu'elle, Sandra-Luc Baer, dénonce comme les mots du néocapitalisme qui nous enferment. Puis ce qui m'a fait penser à ça, c'est ce que tu viens de dire, en fait, c'est comment... On peut présenter des plans de restructuration, des plans de redressement, des rapports, des analyses, des formations, plein de mots comme ça qui enterrent la réalité de ce que c'est. C'est-à-dire qu'il noie, en fait, l'humanité derrière ça. C'est-à-dire que si on veut réduire la masse salariale, bien, on réduit la masse salariale. On n'a pas l'impression qu'on met des personnes à la porte. C'est pas la même chose. [00:49:13] Speaker B: Oui, c'est pas la même chose. Exact. [00:49:14] Speaker A: Dans les faits, ça l'est. [00:49:15] Speaker B: Oui. [00:49:16] Speaker A: Mais dans le langage, ça l'est pas. Exact. [00:49:19] Speaker B: Oui, non. Si tu réduis la masse salariale pour augmenter le cash flow pour la pérennité de l'entreprise, c'est une autre affaire. [00:49:24] Speaker A: Mais c'est raisonnable. Ben oui. Ça a l'air même très savant. [00:49:29] Speaker B: Mais en même temps, par contre, ça revient à la prémisse. Admettons qu'on dit ces mots-là enferment dans une certaine logique et viennent faire obstruction à la souffrance d'individus. Mais est-ce que ceci veut dire, par ailleurs, que la prémisse est percevable? C'est-à-dire, est-ce qu'il y a quelqu'un qui aurait pu dire, non, on ne doit pas la réduire, la masse salariale, ou on ne doit pas éliminer. Ça doit être comme ça. Il n'y a pas de changement. C'est peut-être là que le débat aurait même pu avoir lieu, à la limite, dès le départ. Puis là, si quelqu'un dit malheureusement, on peut pas, il faut qu'il y ait 10 % du monde qui parle. Puis là, sur la réplique, c'est bien non, parce que c'est pour couvrir vos erreurs. Bien OK, peut-être, mais... Si, à un moment donné, logiquement, la décision, su par tous, c'est qu'il faut qu'il y ait 10 % du monde qui parte, c'est vrai que là, ça pose la question, OK, mais comment on le fait? Et là, peut-être que le comment on le fait n'a pas besoin d'être si... une mascarade de déploiement de monde qui essaie de convaincre en espérant qu'il y ait du monde qui parte, mais il peut y avoir un plan plus ouvert et transparent, mais comment faire en même temps sans avoir une rébellion? [00:50:42] Speaker A: Mais aussi, c'est que t'as les lois du travail, c'est ça, leurs problèmes. [00:50:45] Speaker B: Leur problème, c'est ça, c'est que ça se faisait pas. [00:50:47] Speaker A: C'est ça, c'est des employés syndiqués, on pouvait pas les mettre dehors comme ça. [00:50:50] Speaker B: C'est ça, c'était ça le nœud de l'affaire. [00:50:52] Speaker A: C'est ça. C'est que si, parce qu'ils partaient, ils étaient une compagnie publique, en fait, une entreprise publique, une entreprise d'État. [00:51:00] Speaker B: Une entreprise d'État, ouais. [00:51:01] Speaker A: Puis ils sont devenus une entreprise privée. [00:51:03] Speaker B: Ils sont privatisés tranquillement. [00:51:04] Speaker A: C'est ça. C'est pas le même type d'employé dans une entreprise privée habituellement. [00:51:13] Speaker B: Mais ça revient à la question de tantôt. Pensons pas nécessairement au grand patron, ni au N-1, comme on dit dans le milieu capitaliste. [00:51:24] Speaker A: C'est le numéro 2, N-1? [00:51:26] Speaker B: C'est tous les différents paliers, c'est pas le grand patron, c'est celui en dessous. Pas le N-1, le N-2, mais disons le N-4 ou le N-5. C'est la personne qui a un poste, mais qui n'est pas dans les grands chefs. Ces gens-là, les gestionnaires, les managers, il y en a qui se font dire, bien, voici notre conundrum, voici notre dilemme, même s'ils se le font dire explicitement. Il faut qu'il y ait des gens qui partent, puis on ne peut pas les mettre dehors. Alors, on va essayer de faire ça en mettant une certaine pression de performance Puis je sais qu'il y avait plein de gens qui avaient des bonnes intentions. On va faire ça correctement. Puis les gens ont accepté, mais là où je veux en venir, c'est pas si évident de penser que quelqu'un peut dire... bien moi, je m'objecte. Je ne participerai pas à ça. Je pense qu'il va y avoir des dérapes et je ne veux pas faire partie de ce processus. Je ne pense pas qu'il va y avoir des gens qui vont écoper. Je peux penser qu'il y a du monde, comme on disait tantôt, encore plus s'ils ont des cours pour se faire indiquer comment faire, qu'ils embarquent et qu'ils le font. [00:52:46] Speaker A: Il y en a qui sont partis, mais c'est ça aussi, ça marche bien cette machine-là. Il y en a qui se sont dit, moi je m'embarque pas là-dedans, je m'en vais. Donc je préfère perdre mon emploi que de me faire complice. [00:52:58] Speaker B: Oui, c'est ça. [00:52:59] Speaker A: Sauf que, bien, leur départ... Oui, il. [00:53:02] Speaker B: N'Y a personne qui en parle. [00:53:03] Speaker A: Bien, tant mieux, en fait. On a besoin de plus de monde qui parte. [00:53:07] Speaker B: Puis c'est une pétition de principe aussi, parce que là, encore là, maintenant qu'on sait ce qu'on sait, ceux qui sont partis en ne voulant pas se faire complice de ce désastre avaient raison, mais si c'était une pétition de principe que ça allait être un désastre, ça aurait pu marcher correctement, relativement. Ils auraient pu tranquillement changer les méthodes, puis à la place de vouloir le faire en un an ou deux ans, puis à un moment donné, je ne sais pas, elle est où la dérape? C'est qui la personne à un moment donné qui a dit là, La pression, on fait pas juste un tour. On fait deux tours et trois tours. Non seulement on leur donne des objectifs de performance plus élevés, puis on les contrôle, puis on resserre la vis, mais en plus, boum, on les change de place. Là, on en rajoute. Tu sais, quand ça s'est inséré dans l'affaire, on n'est pas trop sûr. Fait que je peux penser qu'il y a quelqu'un à un moment donné qui est resté parce qu'il pensait pas qu'il était complice. Il pensait que ça allait se faire relativement correctement. [00:54:05] Speaker A: C'est fascinant, mais c'est fascinant, oui, qu'il pensait que ça allait se faire relativement correctement et qu'il ne se rendait pas compte quand ça ne se faisait pas correctement. Ou si tu peux perdre la perspective, tu peux ne plus voir ce qui est autour de toi ou y être indifférent, c'est-à-dire où il prend le plaisir. Il y a comme différentes figures. Le truc, c'est que ça a marché, c'est parti d'en haut. Ah oui, il y a ça aussi, cette expression-là, « top down ». Donc, c'est parti d'en haut, puis ça s'est diffusé en bas. Donc, c'est pour ça que les hauts dirigeants chez France Télécom ont été en procès, ont été directement interpellés. Les choses se seraient aussi passées autrement si le procès n'avait pas été... le verdict n'avait pas été un verdict de culpabilité. C'était pas impossible. Et là, qu'est-ce que ça aurait été le résultat de ça si les plaignants n'avaient pas réussi à faire la preuve de cause à effet? [00:55:07] Speaker B: Oui, en fait, c'est ça. Parce qu'on l'a peut-être dit rapidement, mais il fallait faire cette preuve-là qui n'était pas simple de cause à effet. Tu sais, mathématiquement, tu peux dire, écoutez, quand on a, par définition, je sais pas, 20 000 travailleurs, il va y en avoir quelques dizaines qui filent pas, là. C'est ça. En situation de changement, là. C'est ça. Quand même qu'on ferait le mieux qu'on peut, il y a des gens plus fragiles, puis je sais pas jusqu'à quel point on peut tenir des gens responsables criminellement d'une part. C'était pas évident. Pas du tout. C'était pas donné. [00:55:40] Speaker A: Non. Tout à fait. Donc, ça aussi, on peut dire maintenant, bien, la preuve a été faite à la satisfaction du tribunal, qui est, je pense, devant le jury. [00:55:53] Speaker B: Oui. [00:55:54] Speaker A: Donc, a été faite. Et donc, même si les peines sont insignifiantes pour certains ou sont pas... Elles sont symboliques. Elles sont symboliques. C'est important symboliquement. [00:56:07] Speaker B: Mais rappelle-moi, parce que je veux juste pas faire d'erreur, parce que les gens qui portaient plainte, là, ont délibérément choisi c'était quoi leurs enjeux, puis donc ils ont décidé de pas essayer de trouver une cause à effet entre les victimes. Tu sais, ils étaient pas accusés de homicide involontaire, là. [00:56:26] Speaker A: Non, c'est le harcèlement moral. [00:56:28] Speaker B: Oui, parce que ça aurait été trop lourd, justement, à prouver. [00:56:30] Speaker A: Oui. [00:56:31] Speaker B: Puis délibérément, ils ont choisi de pas aller dans ce sens-là, mais plutôt vers le sens de l'harcèlement moral qui demandait, qui était moins lourd, on peut dire. [00:56:40] Speaker A: Puis dans l'ensemble des suicides qu'il y a eu, il y en a une partie seulement qui a été retenue au fin de la démonstration. [00:56:49] Speaker B: Oui, il fallait circonscrire. [00:56:50] Speaker A: C'est ça, il fallait circonscrire, puis oui. Donc stratégiquement, c'est comme... Ça a marché. Mais ça aurait pu ne pas marcher. [00:57:01] Speaker B: Oui. Et là, quelle serait l'histoire qu'on raconte si un juge avait dit... Peut-être, mais c'est la vie. [00:57:09] Speaker A: Oui. [00:57:11] Speaker B: Peut-être que le juge aurait pu dire qu'il y a eu des abus, sûrement, il y a eu des maladresses, sans doute, mais on ne reconnaît pas. Mais ça a été un peu le cas dans l'appel quand même. [00:57:21] Speaker A: Oui. [00:57:21] Speaker B: Parce que là, en fait, ce n'est pas juste. Les patrons, pour le dire ainsi, ont porté la cause en appel. le symbolique de la reconnaissance du harcèlement moral est resté, alors la victoire demeure pour les plaignants à ce niveau-là, mais la peine et une certaine responsabilité des individus dirigeants a été effritée quand même, en disant bon ben, pas de prison, pas rien, l'amende est moindre, alors ça vient, ça va pas dans le sens d'en rajouter. Mais donc, on revient à l'idée, ces jugements-là, qui peuvent parfois aller dans un sens ou un autre, peut complètement faire chavirer la façon dont, après ça, on raconte l'histoire. [00:58:17] Speaker A: Oui. Pis là, t'as donc Sandra-Luc Baer qui arrive et qui essaie de raconter le procès du point de vue d'une littéraire. et qui fait des analogies avec Nuremberg, mais en disant, mais on a entendu beaucoup comparer le nazisme, parce qu'ils l'ont vécu en France, c'est dans leur histoire proche, mais non, c'est pas ça qu'il faut faire, mais n'empêche, Elle utilise l'exemple de Clem Perraire, « La langue du troisième Reich », dont on a parlé. Elle utilise sa méthode en se disant « Bon ben moi, je ne vais pas parler de ce procès avec la langue du capitalisme ou du néo-capitalisme parce que ça va m'empêcher de décrire cette langue-là. Je vais parler du procès avec une autre langue, pour pouvoir décrire la langue du néocapitalisme. C'est intéressant. Mais pourquoi je fais ce petit biais-là, ce détour-là, c'est parce que, tu sais, tu demandais tantôt, mais à quel niveau est-ce qu'on peut penser que les choses se sont décidées de telle façon que ça a donné ce que ça a donné? Est-ce que c'est Didier Lombard lui-même? Est-ce qu'on peut dire ce monsieur, il est la cause directe? Ou est-ce qu'en dessous de lui, il y avait des gens qui traduisaient la direction générale en langage opératoire, opérationnel, pour les formateurs de gestionnaire, etc.? Tu sais, à quel niveau? Ou est-ce que... Ça se décidait en symbiose. C'est-à-dire, on a une bonne idée, puis on est dans notre bulle, puis on trouve tous que c'est intéressant, puis c'est le fun. C'est pas inédit dans l'histoire que la folie d'une ou la folie, entre guillemets, d'une ou deux personnes marque complètement un pays au complet, et sa culture. Je pense au Chochesku. On peut penser à la Corée du Nord, tu sais, que dans un modèle top-down, comme ce qu'ils ont instauré, qui implique, bon, tout ce que ça impliquait, que quelqu'un ou quelques-uns qui ont des... qui prennent des libertés par rapport à... par rapport à leurs travailleurs ou par rapport à leur responsabilité morale d'entreprise ou par rapport à leur rôle et par rapport aux faits, même pour certains, ça peut ne pas être sans conséquence sur tous les autres qui descendent à tous les niveaux? [01:01:08] Speaker B: Oui, puis on peut vraiment imaginer une situation ou la figure charismatique en tête, dans ce cas-ci, Lombard, qui est nécessairement blâmée parce que symboliquement, on reprend ce qu'il a dit, puis c'est lui qui est en charge. Mais c'est pas impossible dans une situation similaire que, nonobstant certaines de ses fautes, le vrai déraillage, la vraie dérape, c'est dans certains exécutants qui, à un moment donné, on dit, OK, là, encore là, on tourne la vis vraiment plus, on déstabilise le monde, on les fait changer de place. C'est pas impossible, à un moment donné, que certaines personnes en haut n'étaient pas au courant de certaines dérapes. Ce qui peut parfois expliquer... bien, peut-être que c'est moi qui défends les vrais méchants. Mais c'est une des caractéristiques de Charles Descoux et d'autres, qui à un moment donné, quand ils sont confrontés à leurs méfaits, puis je sais, on en avait parlé avec Charles Descoux, tu sais, leur regard vide ne comprend pas du tout pourquoi on les blâme. Comme si, vraiment, c'est vraiment l'image de quelqu'un qui disait « OK, mais là, Moi, j'ai toujours voulu le bien pour mon peuple. Qu'est-ce que vous me dites là, là, de ce qui se passe dans le petit monde? Moi, je suis pas au courant d'être ça zéro, là. Qu'est-ce que vous me dites, là? Puis, non seulement je suis pas au courant, mais en quoi moi, je suis responsable de ça? Moi, ma grande volonté, c'est la prospérité de notre nation. Puis, fait que là, on peut voir leur... le fait qu'ils sont... comme vraiment le propre d'un narcissique pervers qui est vraiment manipulateur, ou aussi le reflet peut-être parfois d'une bubble dans laquelle ils sont qui font qu'ils sont complètement coupés de ce qui se passe pour vrai. Puis un n'empêche pas l'autre. [01:03:06] Speaker A: Comme la petite fourmi, c'est-à-dire qu'ils sont complètement coupés de ce qui se passe, mais pourquoi ils sont aussi coupés de ce qui se passe? [01:03:13] Speaker B: Le lien. [01:03:16] Speaker A: Entre les causes et les effets, ça les intéresse pas nécessairement. [01:03:21] Speaker B: Oui, c'est ça. Puis peut-être que leur vraie responsabilité, c'est de s'être laissé être coupé. De s'être laissé être coupé. [01:03:27] Speaker A: Oui. [01:03:27] Speaker B: C'est-à-dire, je veux dire, si c'est évident que ton peuple souffre, juste que tu marches dans la rue pour le voir, puis que tu t'en rends pas compte, peut-être que ça, en soi... [01:03:37] Speaker A: Mais quand, par exemple, on vient voir Didier Lombard pour lui parler du Xème suicide chez France Télécom, et que sa réponse, c'est de dire, mais enfin... Au début, on parlait d'une crise médiatique, en fait. C'est comme une tempête dans un verre d'eau. Puis après, il dit, mais en fait, il faut que ça cesse cette mode-là. C'est comme ça scandalise tout le monde. C'est qu'il n'a pas saisi l'opportunité. Il n'a même pas senti... Il n'a pas exprimé le besoin de saisir l'opportunité pour essayer de se demander sincèrement qu'est-ce qui se passe, en apparence, parce qu'il y a l'autre dimension dans tout ça. Si je peux me permettre, c'est les com, les com. Il y a le managerisme et il y a les coms. Il y a le marketing, il y a les coms. Et pourquoi je dis coms, coms, coms? C'est parce qu'il y a plusieurs documentaires ou des reportages de journalistes ou d'animateurs télé qui parlent de coms ratés, de communications ratées, etc. Mais c'est eux, en fait, c'est eux les journalistes qui déterminent qu'est-ce qu'il y a de mieux. Qu'est-ce qui est raté ou non? C'est leur domaine à eux, les coms. [01:04:56] Speaker B: Puis même dans ce cas-là, tu sais, Lombard, il dit, il est confronté aux gens qui se suicident, puis il a la malencontreuse formule où il dit, il faut arrêter cette mode-là. Bon, c'est vraiment raté comme com. Mais il y a aussi quand même, nonobstant, cette chose terrible qui a été dite, que souvent, on coupe son discours-là. Si on le continue, ce qui suit cette malencontreuse formule est quand même un peu plus humaine. [01:05:26] Speaker A: Ah oui? [01:05:27] Speaker B: Oui, oui, parce qu'après, il dit « parce que c'est pas tenable humainement, personne veut ça ». Tu sais, il en rajoute dans le sens de quelqu'un qui réagit humainement à ce qui se passe, un peu plus, mais si on le coupe. Fait que si on le coupe, puis on l'entend juste dire « il faut arrêter cette mode », il a vraiment l'air Mais là aussi, c'est un moment donné, qu'est-ce qu'on découpe, qu'est-ce qu'on garde, selon qu'est-ce qu'on décide qui est l'histoire? [01:05:51] Speaker A: Oui, et donc, qu'est-ce qu'un Didier Lombard ou un autre va aller dire au micro, sachant que ça va être repris? C'est pas nécessairement, écoutez, je suis vraiment désolée, je vais voir qu'est-ce que je peux faire pour... parce que ça peut facilement se retourner contre lui dans le monde des com. Alors c'est aussi un jeu qui aide tout le monde à perdre de vue la réalité. [01:06:20] Speaker B: Oui, c'est ça.

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