Attentat contre De Gaulle (2)

Attentat contre De Gaulle (2)
Après-Coup
Attentat contre De Gaulle (2)

Nov 26 2025 | 00:53:38

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Episode 104 November 26, 2025 00:53:38

Show Notes

"C’est à partir de la constatation selon laquelle le général de Gaulle est coupable des crimes de forfaiture, de haute trahison et de complicité de génocide, que nous avons agi conformément aux possibilités que donne la loi. Nous croyons que cette action était juste ; car les mobiles de cette action sont ceux que dictent la morale, le droit et la raison humaine ; car la morale, le droit et la raison humaine s’accordent à reconnaître que la politique du général de Gaulle est à la fois immorale, illégale, aberrante et infamante."

Jean Bastien-Thiry, 2 février 1963

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Episode Transcript

[00:00:02] Speaker A: C'est à partir de la constatation selon laquelle le général de Gaulle est coupable des crimes de forfaiture, de haute trahison et de complicité de génocide, que nous avons agi conformément aux possibilités que donne la loi. Nous croyons que cette action était juste, car les mobiles de cette action sont ceux que dictent la morale, le droit et la raison humaine. Car la morale, le droit et la raison humaine s'accorde à reconnaître que la politique du général de Gaulle est à la fois immorale, illégale, aberrante et infamante. Jean-Bastien Thiry, 2 février 1963. Vous écoutez Après couple. Donc, rappelons rapidement les faits. Officiellement, la guerre d'Algérie commence en 1954, avec la Toussaint-Rouge, qui est un massacre, en fait, de pieds noirs. Une attaque en règle dans plusieurs villes d'Algérie en même temps, qui consacre la naissance du Front de libération nationale, le FLN. Pendant... C'est quoi? Quatre ans, on ne parle pas de guerre d'Algérie, on parle des événements d'Algérie. Donc c'est une guerre qui ne dit pas son nom. mais c'est extrêmement violent de part et d'autre sur l'ensemble du territoire algérien. Pendant qu'en même temps, en France, la Quatrième République est en train de s'écrouler. Il n'y a pas un gouvernement qui peut tenir en place. Donc, il y a des événements en Algérie, mais personne n'est équipé pour y faire grand-chose, en fait, sinon les généraux qui sont sur place. Donc, et le FLN... Et éventuellement, les généraux algériens déplacent le problème algérien dans la métropole, en France. Finalement, on appelle de tous nos voeux le général de Gaulle, qui est retranché à Colombie-Les-Deux-Églises, qui est le plus illustre des Français, selon le premier ministre, je pense, de l'époque, Coty. On l'appelle comme sauveur pour venir remettre de l'ordre dans tout ça. Il se présente, donc il revient, en réclamant les pleins pouvoirs présidentiels et en préparant une nouvelle constitution qui va fonder la Cinquième République en France, dans laquelle le président a d'énormes pouvoirs exécutifs. Tout ça avec le soutien des généraux en place en Algérie. Trois jours après avoir accédé à la présidence, de Gaulle se présente à Alger et fait une longue... un grand discours qui se veut rassembleur, où ce qu'il énonce, c'est que l'Algérie est un territoire français. Plus ou moins. Par la suite, en tout cas, il y a de l'ambiguïté apparemment autour de ça, mais tout le monde a entendu de Gaulle était pour l'Algérie française, c'est-à-dire que l'Algérie reste dans le giron français et n'accède pas à l'indépendance comme le veut le Front de libération nationale à une époque où il y a un paquet de pays qui deviennent indépendants. C'est la fin du temps béni des colonies. [00:04:00] Speaker B: Exactement. [00:04:02] Speaker A: Il fait cette déclaration-là et peu après, il enclenche un processus qui mène à un référendum sur le destin de l'Algérie. Le référendum est remporté par le oui à l'indépendance. Et là, on arrive à Jean Bassin-Thierry. Parce que l'Algérie devient indépendante. les Pieds-Noirs en Algérie, les Harkis en Algérie, les généraux algériens et un paquet de monde se sentent trahis parce qu'ils ont soutenu le retour au pouvoir du général de Gaulle en pensant qu'il viendrait mettre de l'ordre en Algérie, c'est-à-dire pacifier les choses pour que l'Algérie reste dans le giron français. des départements d'outre-mer, comme la Guadeloupe ou la Martinique ou la Réunion, t'sais, l'est encore. C'est pas du tout ce qui est arrivé. Pour plusieurs, il a trahi sa parole avec des conséquences funestes. Donc, ça nous amène à Jean-Bastien Thierry, qui est de ceux qui l'a pas digéré. [00:05:17] Speaker B: Oui, exact. Et entre autres parce que... Au moment où l'Algérie devient indépendante, bien, la transition pacifique qui devait avoir lieu, bien, n'a pas lieu du tout, en fait. Et il y a des massacres de gens sous ses yeux, en fait. [00:05:41] Speaker A: Oui. La guerre d'Algérie, elle oppose l'armée française essentiellement et le Front de libération nationale. qui, tous les deux, se livrent à des violences contre l'autre et contre des civils. C'est une guerre qui est vraiment sanglante. Et finalement, l'accession de l'Algérie à l'indépendance se fait à peu près de la façon suivante. OK, on s'en va. [00:06:11] Speaker B: Oui. [00:06:12] Speaker A: On rentre à la maison, un peu comme en Afghanistan récemment, aux États-Unis. [00:06:17] Speaker B: Oui. [00:06:17] Speaker A: On s'en va. [00:06:18] Speaker B: Oui. [00:06:19] Speaker A: Après moi, le déluge. [00:06:20] Speaker B: Exact. [00:06:21] Speaker A: Il a essayé de négocier, de gaule, de garder une partie du Sahara parce qu'il y avait des... des enjeux économiques, le pétrole entre autres. Il y avait aussi... ils ont fait des essais nucléaires dans le Sahara. Vous voyez, c'était un territoire intéressant géopolitiquement parlant. Ça n'a pas marché. Bon, bien, tant pis, ça nous coûte trop cher, puis c'est fini, on rentre à la maison. [00:06:48] Speaker B: Et donc, lui, Jean-Bastien Thiry, fait partie du Conseil national de résistance, de la résistance, le CRN. Et donc, eux résistent, en fait, résistaient à ce que l'Algérie devienne indépendante et continuent à résister, en fait, à ce que ça se passe si mal, la transition. [00:07:08] Speaker A: Oui. Et c'est des militaires, surtout. [00:07:10] Speaker B: Oui. Juste à ce que, donc, il y ait la tentative d'assassinat de De Gaulle au Petit Clamor en 62. [00:07:18] Speaker A: Oui. [00:07:21] Speaker B: Puis là, nous, ça nous intéresse pour plein de raisons, en fait. Il y a plein de raisons qu'on pourrait déployer de pourquoi ce genre d'histoire et de récits nous intéressent. Mais donc, pour la question suivante, qu'est-ce qu'on fait? Comment on accueille ou on reçoit ou on étudie le discours de quelqu'un qui planifie un attentat d'un chef d'État. Alors, une position, qui est non la moindre, c'est de dire, bien, parce qu'il a fait ça, parce qu'il a planifié un attentat d'un chef d'État, qu'il a. [00:07:58] Speaker A: Été raté... [00:08:04] Speaker B: Parce qu'il a fait cette planification d'un assassinat, bien, il a perdu son droit de parole et de cité, et donc on s'en fout. On s'en fout de ce qu'il a dit. Et c'est une position qui est quand même pas toujours dite si explicitement, mais qui est quand même... Et souvent là, en flottement, en fait dans tous les cas où il y a des gens qui commettent des actes, des passages à l'acte ou des actes répréhensibles ou des tueries, il y a souvent un discours, il y a toujours un discours sous-jacent, des fois il n'est pas très élaboré mais il y a quelque chose qui s'est passé. On peut essayer de comprendre ou on peut ne pas essayer de comprendre en disant il n'y a rien à comprendre ou de toute façon il n'y a. [00:08:44] Speaker A: Rien qui justifie La subversion. [00:08:46] Speaker B: La subversion. [00:08:47] Speaker A: L'assassinat. [00:08:48] Speaker B: Exact. [00:08:49] Speaker A: Peu importe. Oui, il n'y a rien qui le justifie. [00:08:51] Speaker B: Donc, comme il n'y a rien qui le justifie, à quoi bon comprendre les méandres de sa psychique et pourquoi il a fait... On s'en fout. [00:08:58] Speaker A: Non. Enfin, on s'en fout, d'autant plus que la vraie histoire, c'est que la France est un pays colonialiste, impérialiste et violent. Elle a colonisé l'Algérie injustement. Elle a créé des inégalités sociales intolérables. Il était grand temps qu'elle quitte l'Algérie. Et tous ceux qui sont contre, c'est des gens de droite, d'extrême droite, des gens qui sont pour le colonialisme. C'est-à-dire, on dit que l'histoire est écrite par les vainqueurs. Bon, bien, c'est cette histoire-là qui est racontée. Il était grand temps, c'était terrible l'occupation de l'Algérie. Et c'est vrai, en grande partie. Et donc, par conséquent, les généraux sédicieux et tous les subversifs, c'est des gens qui s'opposent à la liberté des peuples. [00:09:55] Speaker B: C'est ça. [00:09:55] Speaker A: C'est de la droite, c'est des racistes. [00:09:58] Speaker B: Avec tous les mots qu'on peut après ça coller. Raciste, terroriste, subversif, c'est... tueur, etc. Ce qui vient nécessairement discréditer non seulement le contenu de ce qu'ils disent, mais même le fait de pouvoir l'énoncer en fait. [00:10:12] Speaker A: Oui. [00:10:13] Speaker B: Par contre... C'est dur de parler de ça parce que... t'as toujours comme la réponse de quelqu'un qui est là, qui nous regarde, puis il dirait à nous qu'il essaie de dire... Ouais, mais quand même maintenant, le temps aussi fait en sorte que des fois la distance fait en sorte que c'est plus facile de te replonger sur ce qui s'est passé parfois, pas toujours. Mais il y a toujours une personne qui rôde, qui peut te dire, t'es-tu en train de justifier, toi, T'es-tu en train de justifier la subversion, l'assassinat, le meurtre, le passage à l'acte? [00:10:46] Speaker A: T'es-tu en train... Et le colonialisme, dans ce cas-ci. [00:10:48] Speaker B: Ben oui. T'es-tu en train de faire un héros d'un tueur, finalement? [00:10:51] Speaker A: Oui. [00:10:52] Speaker B: Puis parfois, c'est pas nécessairement faux comme position, mais... [00:10:56] Speaker A: Je sais pas si t'as vu, juste une petite parenthèse, la fille de Jean-Bastien Thierry, qui a donc écrit un livre, Le dernier des fusillés, devant Thierry Ardisson pour présenter son livre, et le malaise... Tu l'as sentie malaise? [00:11:12] Speaker B: C'est malaisant. [00:11:14] Speaker A: C'est quand même sa fille. Elle a le droit d'aimer son papa. [00:11:18] Speaker B: Exact. [00:11:18] Speaker A: D'autant plus qu'elle l'a perdue. Elle avait deux ans, trois ans. C'est une toute petite fille. Elle a le droit d'en parler malgré tout le temps passé. Il y a encore... Franchement... C'est un criminel, ton papa. Est-ce que vous défendez ses idées aussi? [00:11:38] Speaker B: C'est ça. On peut quand même pas être pour des tentatives d'assassinat. Mais bon, quand même. Juste pour faire un effet. Le 25 septembre 2016, le président de la République française, lors d'une cérémonie dans la cour de l'Hôtel des Invalides à Paris, à l'occasion de la Journée nationale d'hommage aux Harkis, En or, une promesse de campagne qu'avait faite en 2012, donc quatre ans auparavant, c'est François Hollande qui dit « Je reconnais les responsabilités des gouvernements français dans l'abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d'accueil inhumaines de ceux transférés en France. Évoquant une vérité implacable et cruelle, François Hollande a parlé des combattants qui furent privés de la protection de la France au lendemain de la guerre d'Algérie et dont l'abandon ne fut jamais pleinement reconnu par la République. Donc ça c'est fast forward. [00:12:37] Speaker A: 50 ans plus plus tard. [00:12:38] Speaker B: Exact. Donc là, on peut dire ça et quand c'est dit, ça fait pas nécessairement de contestation ou c'est un fait historique puis tout ça. [00:12:47] Speaker A: L'héarchie, c'est des Algériens. la plupart du temps musulmans, nés en Algérie, qui ont combattu aux côtés de l'armée française, le FLN, pendant la guerre d'Algérie. Et qui ont été, pour l'écrasante majorité, laissés là quand la France a remballé ses affaires, puis a quitté l'Algérie. Et ils ont été massacrés. Et tout le monde le savait que ça s'en venait. [00:13:21] Speaker B: Puis pourquoi je dis ça? Pourquoi je parle de ça? Pourquoi, moi, ça m'interpelle, c'est que... Puis ça, c'est un cas parmi d'autres. C'est pas... Il y en a plein comme ça. Il se passe des drames. Il y a des gens qui, parfois, sont... On appelle ça des whistleblowers. Il peut y avoir des... Des lanceurs d'alerte. Des lanceurs d'alerte. Bien, il peut y avoir simplement des gens qui sont des subversifs, puis des révolutionnaires, puis des fous. Il peut y avoir plein de gens. quand ils étudient leur discours, ils sont en train de décrier, de condamner quelque chose qui se passe. Donc la question aussi, c'est quel statut ou quel accueil, qu'est-ce qu'on fait avec ce monde-là qui essaie de dire qu'il y a quelque chose qui se passe qui n'a pas de sens? Puis c'est intéressant parce que Parce que ça se pose en écho à un autre genre de questions. Des fois, on entend parler des choses qui sont passées dans l'histoire qui n'ont pas de sens. Dans la Deuxième Guerre mondiale, aux États-Unis et au Canada, j'en parle parce que j'étais là-dessus cette semaine, il y avait des camps pour les Japonais. On a pris des citoyens américains qui n'avaient rien à faire avec rien, qui faisaient leur vie, qui travaillaient au départ, mais on les a mis dans des camps pendant des années. Ça pose la question, pourquoi on a fait ça? Qu'est-ce qui est arrivé? Les gens ont laissé faire ça parce que c'était leur voisin. On se pose toujours la question, comment c'est arrivé? 50 ans plus tard, il y a des excuses officielles, un peu comme celle de Hollande. Il y a un dignitaire qui arrive et qui dit, regardez ce qu'on a fait pendant la Deuxième Guerre mondiale aux Japonais. Là, ça commence. On s'excuse. Il va y avoir de l'argent donné à chaque survivant. Là, c'est les grandes excuses officielles, 50 ans plus tard. Pourquoi on a laissé faire ça quand c'est arrivé? Ça ne fait pas 300 ans. Pour nous, c'est la génération de nos grands-parents, à peu près. Une façon de le dire, c'est qu'on ne le savait pas. Des fois, on le savait. Il y avait du monde qui le disait. Mais là, qu'est-ce qu'on a fait avec le monde qu'il disait? C'était-tu des agitateurs? On les a-tu ridiculisés? Ils ont-ils été maladroits dans la façon dont ils ont décliné ce qui se passait? C'est sûr que si une personne dit que c'est inhumain, épouvantable, ce qu'on est en train de faire à mes voisins japonais, je vais tirer partout, ça va être facile de dire que c'est un fou furieux, un tueur, on va le mettre en prison, puis il n'écoute pas ce qu'il dit. En même temps, si la personne fait une campagne de T-shirt, ça se peut aussi qu'on dise que ça n'a aucun impact. Comment avoir de l'impact quand tu as un pouvoir en place qui a décidé qu'il le faisait, puis que c'était comme ça, puis qu'il allait avoir un discours pour le justifier, qui allait écraser beaucoup de monde? Comment tu peux percer ça aussi? Historiquement, c'est ça qui est compliqué à comprendre. Bref, c'est toutes ces questions-là qui se reproduisent de drame en drame, en fait. [00:16:30] Speaker A: Oui. On a le cas de Jean-Bastien Thierry, qui après avoir orchestré deux tentatives d'assassinat, qui toutes les deux ont raté, contre le général de Gaulle, est arrêté, passé en procès devant un tribunal d'exception. et qui profite de son procès pour énoncer tout ce qu'il reproche à de Gaulle et c'est quoi le sens de son geste. Là, Hollande s'est excusé auprès des Harkis, c'est pas seulement les Harkis qui ont souffert, c'est une boucherie l'Algérie sans nom. 50 ans plus plus tard, mais comme on l'a vu chez Ardisson, il y a toujours un malaise et assez peu d'informations autour du colonel Bastien Thierry et de son long discours, très sensé, que j'ai trouvé très touchant, moi, personnellement, même si je partage pas nécessairement sa... son approche ou sa conception du monde, pas entièrement, mais il y a des choses extrêmement touchantes et vraies dans ce qu'il dit. Sa démarche, elle est sincère et il finit quand même à la fin de ça. par être le seul de tous ceux qui ont été passés en procès, qui ont connu un procès pour avoir été sédicieux comme les généraux de l'armée, qui ont eu un rôle immense dans l'opposition à De Gaulle et les violences terroristes qui accompagnaient cette opposition-là. Il a été le seul à être condamné à mort et exécuté. Pourquoi lui et pas les autres? Moi, je pense que c'est son discours à la cour. Il a profité de sa comparution pour énoncer les principes d'une vérité à laquelle il croit profondément et qui motive son acte. Et c'est lui qui finit fusillé. est tombé dans l'oubli de l'histoire aussi. [00:18:52] Speaker B: À peu près. Oui, et discrédité, oui. Est-ce que tu pourrais être sérieuse jusqu'à dire, toi, que... que De Gaulle aurait fait ça aussi en sachant que ça aurait potentiellement créé un martyr, mais que la création d'un martyr, c'est pas nécessairement une mauvaise chose parce que ça canalise les doléances et les frustrations sur une personne spécifique? [00:19:15] Speaker A: C'est pas une mauvaise chose pour un politicien, tu veux dire. Ou pour la société. [00:19:20] Speaker B: Non, pour le politicien. [00:19:21] Speaker A: Pour de Gaulle. [00:19:22] Speaker B: Oui, pour de Gaulle. [00:19:22] Speaker A: C'est une bonne chose pour de Gaulle. [00:19:23] Speaker B: Qui a eu un martyr. Oui. [00:19:26] Speaker A: Il l'a dit carrément, je pense. Les Français ont besoin d'un martyr. Oui, c'est ça. Fait qu'on va prendre lui, mais pourquoi pas l'autre? Salan. Salan, c'était le général. C'est un des principaux orchestrateurs de... Il y a eu un putsch des généraux à Alger. Mais c'est un putsch militaire. La situation était grave et sérieuse. La France a failli basculer dans une dictature militaire, en vrai, au nom de l'Algérie. Mais quand même, ils étaient sérieux, les généraux. Ils rigolaient pas. Le poach a raté. De Gaulle a mis tout le poids de sa généralitude dans une adresse à la nation, en habit militaire, interdire aux soldats d'obéir à ce pouvoir sédicieux qui s'est installé en Algérie. C'était sérieux et grave. Pourquoi aucun des généraux a été condamné à mort? Pourquoi c'était pas eux, les martyres? Pourquoi c'est ce monsieur qui s'en est pris à la personne même de de Gaulle, qui n'a pas été gracié à la fin par de Gaulle? [00:20:36] Speaker B: Oui, puis à la limite, pourquoi, parce qu'on n'en a pas beaucoup parlé, mais la création d'une cour militaire de justice, c'est un tribunal d'exception, spécifiquement pour son cas, dont entre autres, qui inclut le fait qu'il n'y a pas d'appel. qui est jugé illégal pendant le procès, qui va se terminer peu de temps après l'exécution de Thierry. Là, c'est quand même pas rien, tout ça. Il y a comme quelque chose qui est créé à côté, je le dis dans des mots communs, avec d'autres règles, d'autres façons de procéder, pas d'appel pour pouvoir, en fait, en terminer. Et même si... Pendant que ça se fait, c'est illégal. C'est quand même pas rien. [00:21:20] Speaker A: C'est ça. Pendant le procès, le mécanisme lui-même est déclaré illégal. [00:21:25] Speaker B: Oui. On ne peut pas comme ça créer un tribunal d'exception où il n'y a pas d'appel possible. Ça sort d'où, ça? [00:21:32] Speaker A: Puis le premier juge d'instruction, où c'est le juge du procès... [00:21:37] Speaker B: Le général Larmina. [00:21:38] Speaker A: Oui, c'est quoi son destin à lui? [00:21:40] Speaker B: Ben c'est ça, c'est qu'à un moment donné, de Gaulle nomme le général Edgar de Larmina pour être celui qui est le juge principal de ce tribunal d'exception, qui donc le place lui dans un dilemme éthique incroyable, parce que d'un côté, Quand t'es général, tu veux obéir aux ordres? [00:22:02] Speaker A: Oui. [00:22:03] Speaker B: T'as été éduqué comme ça? [00:22:06] Speaker A: Oui. [00:22:06] Speaker B: De l'autre côté, là, il y a un tribunal d'exception qui est créé pour juger de tes ex-compatriotes, d'autres généraux. Alors, ça le place dans un certain dilemme, en fait, pour le résumer grossièrement. Soit obéir au général de Gaulle, soit préserver l'honneur militaire, puis dire, bien, moi. [00:22:25] Speaker A: J'Embarque pas Un tribunal illégal. [00:22:28] Speaker B: Un tribunal illégal. Je ne veux pas cautionner ça. Et la veille du début du procès de Thierry, il s'est suicidé. [00:22:38] Speaker A: Toutes ces questions-là, c'est des questions qui sont relatives à l'éthique et des questions qui sont relatives à la politique et à leur incompatibilité apparente, non? Là t'as quelqu'un, bien Saint-Thierry, qui a des motifs éthiques, raisonnés, articulés, réfléchis. de vouloir éliminer le chef de l'État français, dont il juge qu'il a du sang sur les mains, qu'il s'est déshonoré, qu'il a trahi sa parole, qu'il a abandonné les Français d'Algérie, qu'il a menti à la population, que son pouvoir est usurpé. C'est ça, son discours. Et que, face à ça, son devoir éthique était de mettre tout en oeuvre, tout ce qui était en son pouvoir pour arrêter cet homme. Ça, c'est son rationnel. C'est une position éthique de son point de vue à lui. Le général dont tu parles, il est aux prises avec un dilemme éthique. S'il va de l'avant, il se trahit. s'il ne va pas de l'avant, il se trahit. Il est joué par le système. [00:24:08] Speaker B: C'est ça. Donc, la veille de l'ouverture du procès, dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 62, il se tire une balle dans la potrine. Il va laisser une lettre manuscrite, qui n'est pas publique, mais qui a été par la suite diffusée en partie, où il réaffirme sa fidélité indéfectible à de Gaulle, qui quand même énonce en partie dans quel dilemme il est pris. Non? Le fait qu'ils doivent le réaffirmer. [00:24:39] Speaker A: Oui. Qu'on me comprenne bien, je ne renie pas de Gaulle. [00:24:42] Speaker B: Exact. Par contre, il interdit toute récupération politique de son geste, ce qu'on fait en ce moment. C'est-à-dire qu'en disant ça, il dit que ce n'est pas lié au procès, mais en même temps, comment penser autrement? Et il s'accuse seul de faiblesse et c'est la raison de son suicide. [00:25:03] Speaker A: Mais de faiblesse, comment est-ce qu'on sait? Quelle faiblesse? [00:25:06] Speaker B: Faiblesse de caractère. [00:25:08] Speaker A: Il n'est pas capable de quoi? C'est ça, il est faible face à quoi? Face à la vie, face à des problèmes familiaux, des problèmes financiers. [00:25:18] Speaker B: C'est ça. C'est facile de faire le lien qui était pris dans un dilemme éthique, qui n'était pas tenable. de devoir être le juge en chef d'une cour d'acception qui avait... qui a jamais dû être ouverte, en fait, qui n'avait pas sa place. Et donc, il savait qu'il allait potentiellement juger à mort de ses anciens collègues. Et dans ce contexte, un exercice fascinant à faire, quand même, c'est de se demander, mais... qu'est-ce qu'on aurait fait, nous autres, dans cette situation-là? [00:26:10] Speaker A: Par exemple, dans la situation de Bastien-Thierry? [00:26:14] Speaker B: Bien là, c'est celle qui nous intéresse aujourd'hui. Cette semaine, je me demandais, par rapport à la formation des camps... C'est le même principe. [00:26:22] Speaker A: Mais je ne vous dirais pas dans la position de De Gaulle, par exemple. [00:26:24] Speaker B: Non, non, dans la... Tu te mets dans une position... [00:26:26] Speaker A: Si j'étais De Gaulle, j'aurais fait quoi? [00:26:27] Speaker B: Non, non, exact. [00:26:28] Speaker A: J'aurais pas été là. [00:26:30] Speaker B: Moi, je suis plus modeste, ça ne m'est même pas venu à l'esprit. [00:26:32] Speaker A: Mais bon... Ah non, moi, la longue traversée du désert, je la vis dans mes os. [00:26:39] Speaker B: Oui, c'est ça. [00:26:40] Speaker A: Mon destin. [00:26:41] Speaker B: Un jour, ils vont te rappeler. [00:26:42] Speaker A: Ils vont me rappeler. [00:26:44] Speaker B: Non, non, moi, je suis plus modeste. Parce que je suis plus modeste, mais semblablement. Tu sais, tu t'imagines, tu es à Paris, dans la métropole. [00:26:56] Speaker A: Oui. [00:26:59] Speaker B: Là, t'es en... C'est pendant le procès. Puis là, tu le sais. Puis c'est encore... Pendant le procès, il y a encore des massacres qui se passent en Algérie. C'est pas le passé lointain. Le monde, il essaye de partir. Ils peuvent pas s'en aller. [00:27:13] Speaker A: Il y a des exactions terriennes. [00:27:15] Speaker B: Puis là, tu t'imagines que t'es dans un café. Puis tu le sais que ça se passe. Mais tu peux aussi faire semblant que tu le sais pas, mais tu le sais. Vas-y. [00:27:24] Speaker A: Mais tu le sais pas nécessairement. Ça fait partie de son discours. de parler de la télévision d'État, de la radio d'État, du récit officiel, du récit auquel tout le monde a accès. Tous ceux qui opinent sur l'Algérie s'appuient sur le récit qui leur est transmis par les canaux officiels. qui sont la presse, les médias. [00:27:48] Speaker B: Oui, oui, la radio d'État et tout ça. Puis la radio d'État qui martèle certains messages, qui vont aller dans le sens de dire, bien, c'était le sens de l'histoire, c'est ça qu'il fallait faire, on est dans un air de décolonialisation, tout va bien. [00:28:00] Speaker A: Puis, juste en parenthèse, qui a mis des années avant d'appeler la guerre une guerre. Pendant des années, c'était les événements d'Algérie. On savait à peu près vaguement... [00:28:13] Speaker B: La problématique algérienne et la solution algérienne. Oui. Non, non, je comprends. Fait que non, mais on pourrait... Mais pour corser un peu le dilemme, parce que c'est vrai qu'on peut s'imaginer dans un café à ne pas le savoir, à écouter la version officielle puis à faire sa vie. Mais admettons qu'on en sait un peu plus. [00:28:28] Speaker A: Qu'on est dans sa position, disons. Qu'on sait ce qu'il sait. [00:28:31] Speaker B: Oui. Puis on l'a peut-être pas vécu autant, mais qu'on en sait assez pour être mal à l'aise de ce qui se passe. [00:28:36] Speaker A: Oui. [00:28:36] Speaker B: Donc, c'est un dynamite. [00:28:37] Speaker A: Oui. [00:28:38] Speaker B: Qu'est-ce qu'on fait? [00:28:39] Speaker A: Oui. Est-ce qu'on est responsable? Est-ce qu'on a à faire quelque chose? [00:28:42] Speaker B: Est-ce qu'on a à faire quelque chose? [00:28:43] Speaker A: Est-ce qu'on... Est-ce qu'on reste dans notre café à dire, on le sait, puis c'est terrible, puis blablabla, à nos collègues qui nous regardent de travers parce que tout le monde doit être pour l'indépendance d'Algérie, par exemple? Est-ce qu'on fait ça? [00:28:59] Speaker B: Est-ce qu'on fait ça? Est-ce qu'on... Est-ce qu'on essaie d'en savoir plus? Est-ce qu'on essaie d'en s'impliquer pour en sauver quelques-uns? des Pieds-Noirs ou des Harkis ou du monde... Est-ce qu'on dit, bien, moi, je vais pas m'impliquer dans toute cette politique-là qui est au-dessus de moi, mais je vais essayer de faire en sorte, avec mes bonnesses de besoin, d'accueillir correctement certaines personnes qui débarquent ici, parce qu'on se le disait tantôt, beaucoup de ceux qui s'en allaient d'Algérie puis arrivaient à Paris avec pas grand-chose. [00:29:31] Speaker A: Non, puis ils se faisaient regarder de travers aussi. Ils étaient très mal reçus, oui. [00:29:35] Speaker B: Puis dépossédé? [00:29:36] Speaker A: Oui. Bien oui. T'as ton orangerait, ta maison, ta vie depuis cinq générations, ta famille, tes voisins, tes amis. Du jour au lendemain, tu laisses tout derrière, tu pars avec quelques valises. Si t'es chanceux, il y en a qui ont ramené leur auto. Mais tes poules, tes chèvres, c'est tout. Ça reste là. T'es un dépossédé du jour au lendemain. quand même quelque chose, que ça soit passé dans un silence à peu près total. C'est un million de gens, excuse-moi. [00:30:16] Speaker B: Oui, oui, non, parce que tu sais, c'est beau, c'est beau le mécanisme d'intellectualisation, je veux dire, c'est nécessaire. On ne peut pas tout le temps être dans des drames humains, puis être écorché, pouvoir faire sa vie. [00:30:30] Speaker A: Mais on peut être écorché et intellectualisé aussi. Des fois, l'intellectualisation, ça nourrit l'écorchure aussi. [00:30:38] Speaker B: Tout à fait. Mais ce que je voulais dire, c'est que si on prend un moment, je rebondis sur ce que tu disais, pour imaginer d'être dépossédé, pour vrai, pas juste Je veux dire, nous qui sommes wattés complètement, moi, je perds un truc, ça m'énerve. Je perds un fichier sur mon ordinateur. [00:31:02] Speaker A: C'est la fin du monde. [00:31:02] Speaker B: Oui, j'ai perdu. Ça fait une heure que je travaille dessus et je l'ai perdu. C'est pas le fun. Je suis dans la ouate partout, par ailleurs. Là, t'imagines la personne qui... Bien, comme tu le décris, ça va sur le bateau, il n'y a plus rien. Tout ce qu'il y a, c'est sur lui. Mais donc, c'est ça, quand t'en prends acte, tu peux, pendant quelques instants, ressentir la détresse, le vide, le drame, le trauma, tout ça. Mais donc, bref, je reviens à ma question. t'es dans un café là-bas, c'est quoi la position que tu prends par rapport à ce dilemme éthique-là? C'est intéressant de se le demander. Parce qu'il y a différentes facettes, il y a différentes façons de répondre. Chaque personne a sa façon, selon, aussi, son histoire, sa personnalité, tout ça. Mais donc, une des façons, ça serait de dire, bien, je vais essayer d'en aider quelques-uns. Ça va être ma modeste contribution. Ce qui n'est pas la pire. [00:31:59] Speaker A: Non, non, tout à fait. Il y a quelque chose que ça m'a amenée à penser tout ça, c'est... parce que le discours dominant, c'est... l'indépendance de l'Algérie est votée à 30 %, écrasante majorité, vive l'Algérie indépendante, et tout ça, et tout ça. Et puis t'as des intellectuels très en vue qui, pendant toute la période de la guerre d'Algérie, prenaient fait et cause pour le FLN. Ce faisaient porteurs de valises, Jean-Paul Sartre, par exemple, porteurs de valises d'argent, pour les soutenir concrètement, soutenir leur lutte. Là, il y a une vision des choses qui est implicite dans ça, c'est qu'il y a des bons et des mauvais, les gentils et les méchants. Qu'on est pour l'indépendance de l'Algérie, contre la domination de la France, ou à l'inverse, on est pour l'Algérie française, contre la barbarie, la barbarie étant le Front de libération nationale, qui est violent, qui est un mouvement violent. et contre la dictature aussi, qui s'est avérée, c'est ce qu'il dit, Bastien Thierry, dans son discours, c'est que c'était prévisible, en fait. Le mouvement qui était à l'origine des événements d'Algérie, C'est un mouvement par nature dictatorial. C'était, j'espère que je trahis pas trop sa pensée, qui lui appartient, c'est-à-dire je l'embrasse pas, je fais juste la ronde. Mais c'était quelque chose qui, selon lui, était absolument prévisible, qu'après le départ des troupes françaises, l'Algérie tomberait sous le coup d'une dictature. Puis lui, sa bête noire, c'était le communisme, c'est-à-dire une dictature soutenue par l'URSS, par la Chine maoïste, comme il y avait dans ces années-là un peu partout dans le monde, dans la foulée de la guerre froide, des pays qui tombaient sous l'influence de grandes puissances communistes. Donc lui, il y en avait contre le communisme. mais aussi une dictature, en fait. C'est ce que c'est devenu, une dictature militaire. C'est ça qui est arrivé, pour vrai. Mais donc, ce que je disais, c'est que, tu sais, t'as un ou l'autre, d'un point de vue politique. Mais la question qui amène aussi, c'est la question éthique. Moi, je pense, sincèrement, si les Français avaient besoin d'un martyr, selon De Gaulle, c'est quand même pas par hasard que ce soit lui. d'abord parce qu'il articule clairement que sa vision du monde est fortement teintée par les obligations morales qu'il estime siennes du fait d'être un chrétien et de croire en Dieu. C'est-à-dire, il y a des préceptes qui viennent avec ça. L'amour de son prochain, la charité chrétienne, c'est comme ça qu'il l'articule. On a tendance à vouloir faire dire que les chrétiens, c'est de la droite. C'est pas nécessairement vrai. Il y a des chrétiens de gauche. Mais le fait qu'ils soient chrétiens déjà, et qu'ils l'affirment, c'est en porte-à-faux avec l'époque, les années 60. [00:35:29] Speaker B: Et aujourd'hui, dans un sens. Oui. C'est que ça va au-delà peut-être de la binarité de dire est-ce qu'on est pour ou contre, dans un camp ou dans l'autre camp. [00:35:39] Speaker A: C'est en opposition avec cette binarité-là, en fait. C'est que c'est pas par hasard que ce soit lui qui soit le soi-disant martyr dont la France avait besoin, si on en croit de goût. Parce que lui, ce qu'il articule, c'est une position qui est anti-récit dominant. C'est pas « je me range avec eux contre eux ». Je me range avec le bien contre le mal en termes d'identité. C'est pas... Je veux la France française pour les Français ou l'Algérie française pour les Français blancs de souche, machin, comme on semble vouloir lui imputer. Ou bien donc, je veux l'indépendance algérienne pour les Autochtones d'Algérie, les musulmans en particulier, qui forment l'écrasante majorité, qui ont été opprimés, tout ça, pour eux, contre les autres. c'est que j'essaie d'articuler un discours qui se retire de cette binarité-là et qui se fonde sur la mise en cause des récits. [00:36:38] Speaker B: Du récit dominant. [00:36:39] Speaker A: Oui, du récit dominant qui est éminemment identitaire. Le peuple d'Algérie est le peuple de France. Ton identité est la mienne. [00:36:53] Speaker B: Et qui est une façon aussi de répondre au dilemme que je posais tantôt. Donc, t'es dans un café, qu'est-ce que tu te fais demander? Tu te fais poser par le pouvoir en place, le mouvement politique en place, un récit binaire où il y a un camp ou l'autre, ben tu choisis ton camp. [00:37:10] Speaker A: Oui. [00:37:10] Speaker B: T'as comme pas le choix. Tu dis ben moi, regarde... Ben t'as le choix, mais... Ben t'as pas tant de choix. [00:37:15] Speaker A: Tu vois pas aussi facilement que t'as le choix. C'est comme tout te pousse vers ça. Choisis un récit, tu as besoin d'un récit auquel adhérer. Nous on t'en fournit un. [00:37:26] Speaker B: On te fournit le récit puis on te fournit deux options. [00:37:30] Speaker A: Le bon et le mauvais. Fait que si t'es pas dans le bon, nécessairement c'est que t'es dans le mauvais. Y'a pas de tiers parti. [00:37:37] Speaker B: C'est ça. [00:37:38] Speaker A: Alors là quand t'as quelqu'un qui arrive et qui dit moi en fait c'est pas ce récit-là, je n'y adhère pas. Moi ma référence elle est chrétienne. C'est-à-dire je m'extirpe du discours politique bien que je parle d'un politicien. Ce que je dis de ce politicien c'est qu'il a usurpé sa position, que c'est une dictature en fait. qu'il vient d'instaurer en France, que c'est inadmissible, et que pour asseoir son pouvoir, il n'a eu aucun mal à laisser mourir et à abandonner des gens. Le nombre de fois où il revient sur les horreurs de ce que les gens vivent en Algérie, c'est pas de l'abstraction pour lui. C'est des horreurs. Les gens qu'on a abandonnés, ont vécu des horreurs, et certainement que sous l'occupation française, il y a eu des horreurs de l'autre côté, mais la réalité complète de l'affaire, c'est les horreurs, c'est pas des abstractions de récits identitaires. Ça, c'est pour les politiciens. Or, si tu me permets ma prétention, Je suis sûre que je vais me dégonfler aussitôt que je vais l'avoir dit. Il n'y a pas de plus grande menace au pouvoir que la vérité. C'est-à-dire quelqu'un qui sort du récit et qui remet le récit en question. [00:38:59] Speaker B: Oui, c'est ça. [00:39:00] Speaker A: Tu as besoin du récit. Comme ça, ça permet de situer les gens. T'es pour ou t'es contre? T'es à gauche ou t'es à droite? T'es en haut ou t'es en bas? T'es blanc ou t'es noir? [00:39:11] Speaker B: T'es communiste ou t'es capitaliste? Oui, oui, tandis que si ta réponse est, je la caricature, mais ni oui ni non, bien au contraire, tu défais toute la patente. [00:39:22] Speaker A: Et c'est là que tu deviens dangereux. En fait, c'était ma réflexion sous toute réserve. à bâton rompu, mais c'était ma réflexion ce matin avant qu'on se parle. Je me disais, mais en fait, il y a un gros problème avec les récits. Premièrement, c'est qu'ils sont toujours politiques. Politiques pas au sens nécessairement de partis politiques, mais de politiques y compris entre les individus. C'est-à-dire, Moïque, ça te place par rapport à ton voisin, ça te place à l'intérieur d'un groupe. Est-ce que tu partages le récit du groupe? pour être inclus dans le groupe ou est-ce que tu t'en détaches, puis là t'es exclu et réputé pour partager le récit opposé, parce qu'il y a toujours besoin d'un récit opposé. Nos identités reposent sur des récits. C'est le roman familial des névrosés. [00:40:11] Speaker B: Et les récits reposent, puis on revient à la façon dont on a commencé le podcast la dernière fois, c'est-à-dire des fois des phrases, la grande traversée du désert de De Gaulle est inclue dans le récit. Et il y a un plaisir, on en a lu beaucoup de ça, mais il y a un plaisir dans la vie à un moment donné quand tu rencontres quelqu'un À voir que la personne, à une échelle assez basic, partage talent, donc comprendre... Tu sais, si tu parles français, comprendre français. On le voit des fois, je voyais une vidéo de ça, c'était un petit aparté l'autre fois. Il y avait un type qui se promenait, je pense que c'était à Paris, puis il parlait, je sais pas quel dialecte inconnu. Puis il se fait aborder par quelqu'un, puis il le regarde en disant, tu sais, laisse-moi tranquille, je vais pas te parler, je te connais pas. puis l'autre personne se rend compte du dialecte qu'il parle, se met à parler sa langue, puis sa face s'illumine complètement. Mais c'est le même principe quand les gens partagent nos expressions, reconnaissent l'expression. [00:41:10] Speaker A: Notre humour. Quand on peut rire avec quelqu'un. [00:41:13] Speaker B: On finit la phrase de l'autre, puis on partage la même ici, la même... Tout est en place, on se reconnaît, on se comprend, on est bien. [00:41:20] Speaker A: Mais, c'est-à-dire, est-ce que c'est au niveau des identités ou est-ce que c'est au niveau de l'appartenance? Puis est-ce que c'est la même chose ou est-ce que c'est des choses distinctes? Parce que je dis ça parce que ma réflexion tantôt, c'était... En fait, finalement, un récit, quand tu l'écoutes, puis quand tu l'analyses, puis que tu le pousses au bout de sa logique, mon expérience personnelle, c'est qu'à la fin, au point de départ, il y a toujours un acte de foi. C'est-à-dire, il y a... C'est pas un... Ça s'appuie pas sur un fait ou sur une... quelque chose de concret, c'est... J'affirme. J'affirme. quelque chose et donc, par conséquent, blablabla. [00:42:07] Speaker B: C'est le mythe fondateur. [00:42:08] Speaker A: Oui, j'affirme que King Yom-Un est né dans une fleur et qu'à sa naissance, ou je sais pas trop, dans un chou, et qu'à sa naissance, le printemps est arrivé. Et à partir de là découle que c'est notre leader suprême et que là, il va nous faire ci et que là, il fait pour notre bien. Quand t'arrives au bout du récit et que tu tombes sur l'affirmation initiale, à qui est juste une affirmation, au début était le verbe, au commencement était le verbe. Ah bon? Pourquoi? Comment tu le sais? Comment tu le sais? Qui t'a dit ça? D'où ça vient? Il faut que tu l'acceptes qu'au commencement était le verbe. Parce que là, sinon tout ce qui suit, ça marche plus. Mais quand t'arrives là et que t'énonces que, en fait, mais je sais pas moi, d'où vous tenez ça? Tu deviens dangereux pour l'édifice au complet. suivre. Et c'est là que je me dis, en fait, l'éthique, pour certains, nécessairement, s'opposent aux politiques. L'éthique, en fait, l'éthique, c'est quoi? C'est le principe sur lequel tu t'appuies pour discriminer ce qui vaut et ce qui ne vaut pas, en fait. Mais plus largement, pour Lacan, par exemple, l'éthique, c'est ne pas céder sur son désir. pour satisfaire au plaisir des uns, au récit des autres, aux injonctions sociales. Être conforme à ce qui t'anime toi-même. Si ça t'adonne que ce qui t'anime, c'est la recherche de la vérité, t'es dangereux. Tu peux pas aller au bout puis te remettre en question Mais surtout, une. [00:43:57] Speaker B: Des choses qui fait partie des mythes fondateurs par rapport au pouvoir en place, où tu dis que parfois c'est un mensonge, mais c'est que le représentant de ce pouvoir-là est bienveillant. Ça fait souvent partie du mythe fondateur. Ça fait qu'il peut faire des erreurs, il peut avoir erré, il peut avoir fait un compromis qui était peut-être trop compromis... Il peut avoir plein de trucs, la vie... [00:44:23] Speaker A: Mais c'est de bonne foi. [00:44:24] Speaker B: Mais c'est de bonne foi. [00:44:24] Speaker A: C'est pour notre bien. [00:44:25] Speaker B: Exact. [00:44:26] Speaker A: Oui. [00:44:27] Speaker B: Ça fait partie de l'affaire. C'est là que le film pareil, Le magicien d'Oz, est fort, parce que ça revient souvent quand il découvre... que le magicien donne, c'est un petit bonhomme en culotte courte. [00:44:36] Speaker A: Qui fait semblant. [00:44:37] Speaker B: Oui, qui fait semblant. [00:44:38] Speaker A: Qui fait semblant d'être gros. [00:44:40] Speaker B: Qui le sait pas vraiment. [00:45:08] Speaker A: Mais la question de savoir si... J'ai peut-être tort, en fait, parce que si je pense comme il faut, c'est peut-être pas si vrai ce que je viens de dire, parce que... Là, ma question, c'est est-ce que c'est possible de vivre en tant qu'être humain sans récit? Tu sais, si je dis, bien, le récit, éminemment, il est politique. Mais il est politique, en fait, si c'est un récit partagé, peut-être. Il est moïque, dans le sens, le politique, c'est quoi, par opposition à l'éthique? Le politique, ce serait... tout ce qui est mis en oeuvre pour exercer du pouvoir, que ce soit interpersonnel, que ce soit dans un bureau, que ce soit peu importe où, au niveau national ou international. Le sens de la politique, c'est l'exercice du pouvoir. La fonction du récit dans l'exercice du pouvoir, c'est d'assurer la cohésion de ceux sur qui tu exerces du pouvoir, en fait. de valider ton pouvoir à leurs yeux et par ricochet aux yeux du monde, admettons. L'éthique, c'est pas ça. L'éthique... En fait, l'éthique, c'est compliqué. Ça dépend pour qui. L'éthique, c'est pas la morale, nécessairement. Enfin, quand on est lacanien ou quand on a été lacanien, l'éthique, C'est une façon d'agir qui est conforme à ton désir inconscient, sincère et profond. Pas tes pulsions, mais ton désir. Ce qui te fait te mouvoir dans la vie et qui dépend de la structure et donc du récit en partie. [00:46:51] Speaker B: Oui, c'est ça. [00:46:53] Speaker A: On peut-tu s'en passer quand on arrive au bout d'un récit et qu'on se dit, bien voyons, ça se peut pas de naître dans un chou Ça se peut pas que la naissance de quelqu'un provoque le printemps, puis que là, tout s'effondre. Bien, on le remplace par quoi? Est-ce qu'on peut le remplacer par rien? [00:47:16] Speaker B: Non, tout à fait, mais c'est pas exactement ce que tu dis, mais... Je reprends mon exemple de tantôt de la personne qui est dans un café à Paris en 62 pendant le procès de Thierry, puis qui se pose des questions sur éthiquement qu'est-ce qu'il devrait faire. Ça implique donc de dire c'est quoi le récit dans lequel je baigne. C'est dur de savoir le récit dans lequel tu t'es imprégné quand t'es dedans. Parce que t'es dedans, justement. [00:47:46] Speaker A: Oui. [00:47:47] Speaker B: Fait que c'est dur de te sortir de ça. Et si tu t'en sors, on pourrait dire que c'est une position éthique. Mais tu te retrouves tout seul. [00:47:56] Speaker A: Oui. [00:47:56] Speaker B: Dans un drôle de no-man's land à aérer. [00:47:59] Speaker A: Puis il n'y a pas nécessairement savoir quoi faire. [00:48:02] Speaker B: Exact. Jusqu'à temps que tu retrouves un récit, puis ça peut être un récit lacanien, éthique, où là, tu dis « OK, bien là, je me replace dans le discours psychanalytique, ça me redonne une place. [00:48:12] Speaker A: » Ou un récit chrétien comme Bastien Thierry. C'est-à-dire ma religion, mes croyances, ma foi. me raconte ceci, et Saint-Augustin cela, et Saint-Thomas cela, et les ecclésiastiques cela, ça m'autorise à fomenter l'assassinat de quelqu'un dans des circonstances X, et donc dans ce récit-là, mon action est justifiée et en concordance avec ce qui m'anime profondément. [00:48:50] Speaker B: Mais tu trouves-tu que si on le prend d'une façon un peu idéaliste là, mais c'est pas grave, la fonction de l'artiste pourrait être de se sortir justement de cette politique-là qui nécessairement implique des récits plus ou moins oppressants pour protéger le pouvoir en place, disons. Parce qu'idéalement, l'artiste ressent des choses, ressent, disons, le drame humain qui se passe en Algérie. Tu sais, je reprends cet exemple-là, mais ça pourrait être un bon exemple. Fait que c'est un artiste au café, mon exemple. Fait qu'il ressent ça. il constate le drame humain qui se passe, il constate les harkis qui arrivent, les pieds noirs, les traitements, tout ça. Fait qu'il réussit à se dégager des choix binaires et de la politique en place, puis il prend acte du drame, puis il crée quelque chose. Il crée une chanson, il crée un poème, il crée quelque chose qui vient... il crée une espèce d'œuvre artistique qui vient shaker les gens, interpeller les gens justement en dehors un peu d'un discours politique. Et je trouve que par rapport à cette figure-là de l'artiste, on est historiquement assez gentil. [00:50:14] Speaker A: Oui. [00:50:15] Speaker B: On trouve ça beau, ça, l'artiste qui fait ça. On valorise beaucoup cette fonction-là. On va même lui subventionner parfois, parce. [00:50:25] Speaker A: Qu'On se dit... Bien, c'est là que le pouvoir est intéressé. [00:50:27] Speaker B: Oui, c'est ça. Je peux bien... Mais donc, on va pas là pour l'instant, mais donc, on est quand même assez sympathique. à cette figure-là, à cette fonction-là de l'artiste qui vient briser justement dans tout ce que je disais. Ce qui est moins le cas avec le lanceur d'alerte, disons. Qui peut avoir une fonction d'artiste aussi un peu, dans un sens. Mais on dirait, je le dis en live, je vais dire que ce n'est pas tout à fait juste après, mais c'est un peu comme si on vit bien avec l'artiste parce qu'il y a quand même une couche de métaphore inhérente au projet artistique qui n'est pas présente dans le lanceur d'alerte qui dit je ne vais pas vous le chanter, je vais vous le dire ce que c'est c'est pas correct, puis je vais pointer du monde. Fait que là, c'est pas une chanson qui dit... Tu sais, Bob Dylan, il a fait une chanson, ça s'appelle Senior, puis il parle de son landlord, puis du pouvoir, puis c'est une métaphore sur l'allégorie du capitalisme, regarde. Mais on peut l'écouter puis rien comprendre de ça, puis juste trouver que c'est beau. Mais si tu pointes de gaule, puis. [00:51:42] Speaker A: Tu sors sur les mains... [00:51:46] Speaker B: C'est pas une toune. [00:51:48] Speaker A: Il y a quelque chose, je sais pas si ça a rapport, mais je pense que oui. Quelque chose que j'ai vu à un moment donné, c'est une dame qui avait été victime d'une blessure au cerveau sévère. Un coup de feu. Elle a reçu un coup de feu. Et elle était devenue aphasique. Elle avait perdu la capacité de parler. Les zones du cerveau responsable de la parole avaient été détruites. et elle a réappris à parler en chantant. Parce que les zones responsables de la compréhension de la musique sont différentes. Tu sais, c'est exactement ce que tu dis d'un point de vue biologique. [00:52:35] Speaker B: Oui, c'est ça. [00:52:36] Speaker A: Ce qui passe par la raison obéit à des critères qui ne sont pas les mêmes que ce qui passe par l'art. y compris dans la structure du cerveau, si on en croit la réhabilitation de cette dame.

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