Le procès de France Télécom

Episode 78 April 20, 2024 01:15:22
Le procès de France Télécom
Après-Coup
Le procès de France Télécom

Apr 20 2024 | 01:15:22

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Show Notes

Comment l’ardeur au travail qui, jusque-là, était certainement tenue pour une qualité, voire une force, devient-elle soudain, en cas de disgrâce, de destitution ou de rétrogradation, voire de mise au placard – comment cette implication forte dans le travail, donc –, peut-elle se retourner en une véritable menace pour l’équilibre psychique et la santé mentale ?

Christophe Dejours,

France Télecom Orange – Déposition. Le 10 mai 2019

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Episode Transcript

[00:00:00] Speaker A: Comment l'ardeur au travail, qui jusque-là était certainement tenue pour une qualité voire une force, devient-elle soudain, en cas de disgrâce, de destitution ou de rétrogradation, voire de mise au placard? Comment cette implication forte dans le travail, donc, peut-elle se retourner en une véritable menace pour l'équilibre psychique et la santé mentale? Vous écoutez Après tout. [00:01:03] Speaker B: Alors aujourd'hui, on va parler de la saga, on peut la définir comme ça, je pense, de France Télécom. Et tu m'as mandatée, tu m'as «voluntold» de faire l'introduction, alors je vais essayer de m'arranger avec ça. [00:01:20] Speaker A: T'es notée là, fais attention à comment on t'amène ça. [00:01:23] Speaker B: Oui, c'est ça. C'est juste pour se situer dans les grandes lignes. Donc, ça ne couvre pas tout, mais juste pour se situer. Donc, France Télécom, une compagnie de télécommunications, son nom le dit, en septembre 2004, bascule dans le privé en partie. Donc, une compagnie qui était avant. [00:01:45] Speaker A: Un peu comme Bell. [00:01:46] Speaker B: C'est ça, exact. Bascule dans le privé avec une nouvelle façon de penser, une nouvelle façon de penser aux services, aux finances, à l'organisation du travail, à plein de choses. [00:02:00] Speaker A: Parce que le fait de basculer, j'aime ton mot, dans le privé, ça implique que c'est ouvert sur le marché des actions. [00:02:08] Speaker B: Exact. ils mettent en place deux plans, mais dont un qui s'appelle NEXT. Ils ont beaucoup d'endettements, alors ils veulent rendre ça plus efficace. Ça passe entre autres par un allègement de la masse salariale, donc le départ de milliers d'employés qui ne peuvent pas simplement, entre guillemets, mettre à la porte, parce qu'il y a des conventions collectives, il y a des syndicats qui sont là-dedans, tout ça. Alors, se crée un climat anxiogène, c'est peu dire, où les patrons, en fait, se disent comment faire en sorte d'avoir une attrition naturelle en mettant de la pression sur les gens. C'est une façon d'en résumer. Alors, il y a toutes sortes de façons dont ça se déploie, mais il y a un climat difficile, on met de la pression, on change des gens de place, on leur donne des tâches qui n'étaient pas leurs tâches. Plein de stresseurs qui font en sorte que certaines personnes se disent, bien, c'est plus pour moi, je m'en vais, et c'est ce qu'on veut. [00:03:15] Speaker A: C'est cette bûche recherchée que les gens partent d'eux-mêmes. [00:03:18] Speaker B: Grosso modo, je pense qu'environ 120 000 personnes, je peux me tromper, puis on veut que 20 000 personnes quittent, quelque chose comme ça. Oui, 22 000, oui. C'est significatif. Même il paraît que même des fois, parce que donc ça se cascade comme de raison des grands patrons au moyen patron au cadre tout ça. Puis il paraît qu'il y a même des gens des fois qui se font dire, qui se font un courriel qui disent « Hey, tu fais un bout de temps que t'es d'ici, tu sais pas que je cherche un charcutier à côté puis que ça serait peut-être mieux pour toi. [00:03:46] Speaker A: » Mais pas des fois, il y a des gens qui recevaient ça tous les jours. [00:03:50] Speaker B: Oui quand même. [00:03:52] Speaker A: Il y a des belles jobs, il y a des belles opportunités ailleurs qu'ici. [00:03:55] Speaker B: C'est ça. Réalise-toi donc. [00:03:57] Speaker A: Oui. [00:03:58] Speaker B: Fait que bref, on rit, mais c'est pas drôle, comme c'est souvent le cas. De 2006 à 2008, il y a un climat oxygène qui s'incruste, qui s'installe, qui se déploie. Et il commence à y avoir des suicides, je sais plus trop quand. Il y en a qui disent que c'est au début de l'année 2008, mais je pense que c'est avant... Parce que ça va en cours, puis je pense que à un moment donné, pour les besoins de la cause, à un moment donné, ils se sont dit... on va prendre ces gens-là, mais ceux-là seulement, puis, vous savez, on peut pas avoir un nombre infini de problèmes. Mais bon, il y a plein de maladies psychophysiques, suicides, mais on essaie d'avoir beaucoup de suicides. Et quand ils voient sur une carte l'apparaitre, tous les suicides au fil des mois, c'est des dizaines et des dizaines, jusqu'à temps que les syndicats se regroupent, il y en a différents, décident de poursuivre l'organisation et leurs dirigeants en leur reprochant une espèce d'harcèlement moral institutionnalisé. Ce qui est reçu, puisqu'il n'y allait pas de soi, donc ce n'est pas une personne, c'est aussi de l'organisation comme telle, mais aussi ses représentants. En septembre 2009, la justice est saisie. France Télécom est mise en examen pour harcèlement moral organisationnel. Sept personnes sont poursuivies dans les grands dirigeants. Le procès commence en mai 2019 et se termine quelques années après. Et l'organisation est condamnée. [00:05:31] Speaker A: Les dirigeants, oui. Les sept dirigeants sont condamnés, dont Didier Lombard, qui est condamné à un an de prison avec sursis. [00:05:41] Speaker B: Avec huit mois de sourcils et quatre mois fermes. Ce qui a été changé en appel. [00:05:49] Speaker A: Mais ce qui est inédit, en fait, c'est une première dans l'histoire juridique française que des hauts dirigeants d'entreprises sont imputables. Oui. [00:06:00] Speaker B: Personnellement. [00:06:01] Speaker A: Personnellement, oui. [00:06:02] Speaker B: Donc, c'est pour ça qu'on en parle aussi, parce que là, ça change la donne dorénavant. C'est sûr que c'est un cas qui est fort, fort dans le sens de, pas FORT, mais PHARE. Parce que là, dorénavant, tu peux toujours dire d'une organisation, mais ce que vous avez voulu faire pour mettre en place certaines conditions de travail pour que les gens soient plus efficaces ou quitte ou qu'importe, bien, vous pouvez être responsable des effets. [00:06:29] Speaker A: Oui. [00:06:29] Speaker B: Quand même. [00:06:30] Speaker A: Oui. [00:06:32] Speaker B: Donc, je pense que c'est ma mise en bouche. [00:06:34] Speaker A: Puis, en fait, les effets sont particulièrement délétères chez France Télécom, puisque les syndicats, entre autres, ont réussi à faire Après avoir mis en place, entre autres, un observatoire du stress et de la détresse, le nom exact m'échappe, mais après avoir accumulé de l'information, ils ont réussi à montrer un « pattern ». Parce que le harcèlement, le problème du harcèlement, c'est que c'est difficile à prouver. Et c'est difficile à prouver dans le temps. C'est difficile de prouver les liens entre les choses. C'est difficile de faire la démonstration qu'il y a une dynamique en place. La tentation étant toujours de ramener des faits criminels, par exemple, à des situations précises. t'es un ingénieur qui est déplacé, puis tu deviens téléphoniste, puis que t'attends au poste de téléphone qu'on te redéploie comme ingénieur. [00:07:49] Speaker B: En attendant, on dit que tu fais pas une bonne job comme répondant. [00:07:53] Speaker A: Oui, puis tous les jours, on t'envoie des papiers pour te dire pourquoi tu n'aurais pas travaillé ailleurs, t'aimerais peut-être mieux ça. Ou que tu rentres au travail puis que là, il n'y a plus de meuble, il n'y a plus de bureau. Il fait trop chaud ou il fait trop froid. En soi, individuellement, c'est rien. Je veux dire, tu fais quoi avec ça? Tu ne vas pas porter plainte parce qu'on t'a déplacé de ta job? [00:08:19] Speaker B: Non, c'est ça, il y a les privilèges du patron quand même. [00:08:22] Speaker A: C'est ça. Donc pour faire la démonstration que, premièrement, la pratique est généralisée et systématisée, ça prend une manière de récolter, de recueillir l'information, de la garder en mémoire et de faire des liens entre les choses. Il y a eu un suicide à tel endroit. La tentation, c'est de dire, bien, la pauvre personne, elle vivait des problèmes et c'est biopsychosocial et machin, machos. Quand il y en a dix, on peut se dire, ah bon, bien, c'est dix individus. Et puis, n'allez pas vous tirer trop de conclusions. C'est grave, là, si vous insinuez. Et si vous insinuez que, oh, oh, faites attention à ce que vous dites. Mais quand des gens, par exemple, il y a une des personnes qui s'est suicidée, qui a laissé comme note, je me suicide à cause de France Télécom et rien d'autre. [00:09:21] Speaker B: Et au travail, donc souvent les suicides avaient lieu dans les lieux de travail. Donc ça aussi, ça porte parce que vraiment c'est adressé. [00:09:30] Speaker A: Oui, puis après, c'est pas que les suicides qu'on leur reproche, c'est la panoplie de symptômes de détresse qu'on a réussi à accumuler avec un grand nombre de témoignages et de preuves. pour ramener ça en cours et faire la démonstration d'un harcèlement moral systémique, généralisé. [00:09:58] Speaker B: Donc c'est assez admirable, c'est assez admirable, moi, je trouve, comment ils ont réussi à s'organiser. Et donc c'est l'observatoire du stress, c'est des mobilités forcées. C'est ce qui a été créé. Donc, mobilité forcée parce que, justement, un des moyens de déstabiliser les gens et de les amener à quitter, c'était de leur annoncer, comme parfois très rapidement, bon, bien, toi, tu travailles à tel endroit, mais c'est terminé. T'es maintenant... 500 kilomètres d'ici. C'est ça. Dans un sombre bureau, là, à répondre aux appels, toi, l'ingénieur. [00:10:26] Speaker A: Oui. [00:10:27] Speaker B: J'agère un peu, là, mais pas tant. Ça avait lieu pour vrai, là. Et donc, de créer cet observatoire-là, justement, de s'organiser, littéralement, de changer le point de vue de juste cas par cas par cas, mais d'essayer de trouver quelque chose de plus systématique. C'est assez admirable comment ils ont fait ça. Puis on peut le nommer, je pense, parce que moi, je l'ai trouvé très sympathique. On se le disait tantôt, toi aussi, je pense, c'est Patrick Ackermann, qui est un des délégués syndicals qui a été impliqué dans l'affaire, qu'on voit beaucoup dans les médias des années après. Et c'est pas fini, on est en 2024, c'est pas fini, ça continue. Et moi, je trouve qu'il est... Je trouve qu'il est très bien, c'est très bien ce qu'il dit, c'est très posé. [00:11:09] Speaker A: Oui, puis en fait, c'est l'intelligence, son intelligence à lui et l'intelligence de toute l'organisation de ça. C'est de dire, bon, bien, on entend ce qui se passe. Il faut qu'on arrive à le communiquer clairement. Et pour le communiquer clairement, il faut qu'on articule une méthodologie. [00:11:36] Speaker B: Oui, c'est ça. [00:11:37] Speaker A: Qui rendent les choses visibles. Parce que la personne qui se suicide sur son milieu de travail, elle a suivi un processus... On pourra parler tantôt de Christophe Dejour, comment il classifie ça, mais souvent, elle a suivi un processus seul. Je n'arrive pas. Je suis incompétent. Je suis indigne. Surtout si c'est une personne qui tirait une fierté de la qualité de son travail. Je suis indigne. Et donc, à la fin, au bout du processus, s'il y a passage à l'acte, L'explication est difficile à retracer parce que la personne a vécu. [00:12:30] Speaker B: Oui, elle a vécu ça d'une façon isolée. Parfois, il y a eu des élans de... parce qu'il y a eu des gens qui se sont suicidés qui avaient écrit, qui avaient écrit au patron, qui avaient écrit à des gens autour d'eux en demandant de l'aide sans recevoir de réponse. Mais souvent, c'était vécu d'une façon isolée puis intime, comme de raison. Ça fait que c'était une tâche colossale de partir de ce drame-là, puis de dire, on va essayer de trouver des façons de ramasser l'info, de l'organiser, de la dire d'une façon qui est pas... avec pas trop d'hyperbole, parce que des fois, quand t'arrives en justice, t'exagères pour montrer ton point de vue, mais c'est pas reçu correctement. [00:13:07] Speaker A: C'est pas un petit tir dans le pied. [00:13:08] Speaker B: Fait que de faire ça correctement, que ça soit reçu, qu'il y ait une mise en examen, tout ça, ça a été tout un travail. [00:13:14] Speaker A: Et que ça donne aux autres le sentiment qu'ils ne sont pas seuls. [00:13:17] Speaker B: Dans un contexte dramatique. [00:13:19] Speaker A: Oui, oui. Ceux qui sont mis en accusation au procès, c'est le président Didier Lombard et sept hauts dirigeants, dont le numéro 2, le responsable des ressources humaines. L'ironie de la chose étant, en tout cas, moi, ça ne m'a pas échappé, les ressources humaines, c'est celui qui gère les ressources humaines. Et ils ont aussi un directeur des relations sociales dans cette organisation-là. Je ne sais pas, en France, si c'est généralisé, mais bon. Donc, il y avait plusieurs, Didier Lombard et plusieurs hauts dirigeants. Le nombre de cas de suicide qui a été retenu, qui a été présenté à la Cour, C'est 19 suicides, en fait. C'est pas que des suicides, c'est 19 suicides, 12 tentatives de suicide et 8 dépressions ou arrêts de travail, causés directement par le harcèlement moral. Enfin, c'est ce qu'ils voulaient démontrer. Par contre, il y en a eu beaucoup plus. Ils ont retenu que ceux qui se sont d'abord constitués en partie civile, qui avaient des gens, des survivants ou qui, eux, ont survécu et qui pouvaient se défendre ou présenter leurs témoignages ou voulaient présenter leurs témoignages, ils n'ont retenu que ceux-là et ceux dont on pouvait, comment, prouver que leurs problèmes étaient directement causés par leur milieu de travail. [00:14:55] Speaker B: Oui, il y a eu une sélection qui s'est faite. Puis, on n'a pas parlé encore, mais une des stratégies des syndicats, puis des gens qui poursuivaient, a aussi été d'impliquer les médias. Donc, ça passait nécessairement par une médiatisation de ce qui s'est passé, parce que ça a beaucoup d'impact comme de raison. Et c'est ce qui est arrivé. Donc, il y a plein de documentaires, il y a plein de reportages qui sont faits. [00:15:21] Speaker A: Dans le Figaro... Dans le Figaro, il y a un employé qui... une employée qui est allée se jeter devant un train. Ça fait que c'est pas quelqu'un qui s'est suicidé en milieu de travail, mais c'est une employée, une, je pense que c'était une femme, une personne qui se jette devant un train, tout de suite en sortant, je pense, d'une réunion à France Télécom, et c'est couvert par le Figaro, ce qui n'est pas nécessairement le cas de tout ce qui est... [00:15:54] Speaker B: Mais puisqu'on parle des médias, serais-tu d'accord pour dire que nous faisons, serais-tu d'accord pour le dire, nous faisons le podcast dans cette petite place, cette drôle de place en Amérique du Nord, au Québec, où, à ma connaissance, ça n'a pas été très jasé et très couvert ici. dans les médias un peu, mais pas d'une façon continue. Il y a peut-être eu des reportages parfois qui résumaient ce qui se passait dans l'après-coup, mais je n'ai pas le souvenir d'avoir écouté ou vu dans les journaux ou le téléjournal voici la suite, journée 4 du procès ou quelque chose. [00:16:30] Speaker A: De... Non, c'est ça. Avant que tu m'en parles, pour moi, c'était très vague. C'était du niveau de connaissance de ceux qui... savent des choses sur la princesse Catherine de Galles. Tu sais, c'est-à-dire, t'as une dépêche une fois dans le journal de l'AFP, habituellement. Puis je savais qu'il y avait beaucoup de suicides à France Télécom, c'est tout. Fait que oui, effectivement, je pense que ça a été comme... pour relayer vraiment, là. Et pourtant, c'est ce qui est difficile, oui, hein? C'est que, et pourtant, c'est pas... Bon, on en parlera plus tard, mais juste en préambule, c'est pas un problème franco-français, le problème de la souffrance au travail, et c'est pas non plus un problème de milieu des télécommunications, le problème de la souffrance au travail. Il me semble que c'est une... une allégorie qui pourrait servir à comprendre beaucoup de problèmes qui ont lieu ici. [00:17:37] Speaker B: On peut-tu peut-être parler tout de suite, peut-être pas à l'ordre qu'on voulait, mais on a lu, toi et moi, l'article de Christophe Dejau qui en parle du procès. En fait, il est venu témoigner pendant le procès. [00:17:47] Speaker A: Oui, il a fait une déposition, je pense, à l'ouverture du procès. [00:17:51] Speaker B: Et donc, l'article qui est tiré est relié à sa déposition. [00:17:54] Speaker A: Oui. [00:17:54] Speaker B: Puis lui, dans cet article-là, dans sa déposition, il y a comme ressort l'idée qu'à partir d'un certain moment, il y a eu un changement dans les conditions de travail, dans la façon dont le travail est organisé. Je paraphrase, mais il dit, avant, la gestion de travail était gérée, était coordonnée par des ingénieurs. Donc, des gens impliqués dans les tâches qui essayaient de dire, bon, mais toi, tu faisais le truc, toi, tu faisais le truc, puis on va diviser cette tâche-là en quatre, puis deux, tout ça. Puis à partir d'un certain moment, c'est devenu la mode des MBA organisationnels, des managers, des gens dont le rôle est de gérer, mais qui ne sont pas des experts de métier, en fait. Leur métier, c'est de gérer. Donc, ça change un peu la donne parce que, Il arrive avec des principes qu'ils ont appris, qu'ils appliquent, qu'ils fonctionnent ou non, mais qui ne sont pas reliés à l'amour du métier, à la connaissance des différents métiers. Et lui, il dit que ça a beaucoup changé, que ça a fait vraiment une démarcation. Et c'est à partir de là, des fois, qu'une espèce de folie s'est... c'est incrusté parce qu'il y a des principes qui sont appliqués au nom d'une logique théorique managériale, mais qui n'ont pas nécessairement de sens avec la façon dont le travail est fait et la façon dont les gens aiment leur travail. [00:19:18] Speaker A: Oui, il fait une distinction entre le travail... Les mots qu'il emploie m'échappent, mais le travail effectif et le travail théorique, disons. Les résultats théoriques et les résultats effectifs. Il parle pas de résultats, mais il parle du travail, c'est-à-dire le travail tel qu'il est décrit dans une définition de tâche qui est prévue et structurée, rédigée par des gestionnaires de métiers, soit aux ressources humaines, soit des gestionnaires de projets, des gens dont le métier est de gérer. Donc la définition de tâche et la tâche réelle. [00:20:02] Speaker B: Oui, c'est ça. [00:20:03] Speaker A: Ce que ça implique dans le vrai monde. Et souvent, il y a comme une discordance. [00:20:10] Speaker B: Puis ça concorde bien avec le Code francophone. C'est comme dans un sens parce que quand en 2005, 2004-2005, ils sont arrivés avec le plan Next, puis avec les changements, bien, il y avait justement des théories qui étaient comme... qui partaient d'en haut puis qui descendaient, voici, voici comment vous allez réagir, voici ce qu'on veut faire, voici comment on va séparer. Il y avait comme une... autour vraiment de... de la gestion, en fait, et non des corps de métier. [00:20:37] Speaker A: Oui, puis aussi, là, je vais déborder un tout petit peu, mais c'est aussi... l'époque où l'écart salarial entre les hauts dirigeants d'entreprise et les employés a augmenté en s'accentuant. Et en plus, c'est l'époque où, bon, je disais les années Thatcher, il n'y a rien de tel qu'une société. Ça existe pas une société. C'est-à-dire, il y a des individus regroupés, disons. Et donc, le sentiment de responsabilité de l'entreprise à l'égard des employés. Tu sais, tout ce qui est fonds de pension, puis plus vous restez longtemps avec nous, plus on vous reconnaît et tout ça est comme coupé. et des grandes entreprises de télécommunications, entre autres, vont s'inscrire en bourse. Et là, du coup, l'objectif de l'entreprise est complètement différent de ce qu'il était avant l'inscription en bourse. L'objectif devient le meilleur rendement pour les actionnaires, alors qu'avant qu'il y ait les actionnaires, l'objectif était de faire un profit en rendant un service. Là, donc, la logique managériale est au service du rendement pour les actionnaires. Ça vient ensemble. [00:22:05] Speaker B: Et du cash flow et de tout ça. Dans un contexte aussi où, il faut le dire, à ce que je comprends, il y avait eu plein de mauvaises décisions qui avaient été prises par les dirigeants de France Télécom avant 2004, ce qui faisait que la dette, due à des acquisitions plus ou moins heureuses, surtout malheureuses, en fait, était très élevée. Et donc, il y avait une pression de rentabiliser la ferme et de ramener la profitabilité et que des gens partent parce qu'il fallait payer la dette. Donc, c'est vrai que là, c'est facile de dire, bien, des dirigeants ont pris des mauvaises décisions, ils ont endetté et la solution, c'est là parfois l'ironie macabre du capitaliste. des dirigeants prennent des mauvaises décisions, la dette augmente, augmente, que faire? Bien, débarrassons-nous du monde et soyons récompensés pour l'efficacité de notre débarras. C'est nous les responsables. [00:23:01] Speaker A: Pire que ça, c'est que débarrassons-nous du monde, soyons récompensés via la prime au rendement pour le fait de s'être débarrassés du monde. Donc, fixons-nous un objectif. Dans ce cas-ci, c'était 12 % par année. sorti de on ne sait où mais en tout cas c'est notre objectif et ça c'est notre objectif alors il faut qu'on soit centrés tous sur notre objectif débarrassons nous cette année de 12% qui quoi comment pourquoi c'est pas ça qui est important mais là nous on a une prime au rendement en fonction des objectifs Mais l'objectif n'est plus de fournir des services de téléphonie, d'Internet. C'est-à-dire qu'au bout de ça, tu as une perte de valeur réelle de ton entreprise qui ne fournit plus de la même... Huit personnes, c'est pas dix personnes. T'sais, quand t'as une équipe de dix qui fonctionne à monter des lignes, c'est pas la même chose qu'avoir une équipe de huit qui fonctionne... [00:24:08] Speaker B: C'est là, par contre, que moi, à un moment donné, je suis moins d'accord dans ces grands principes-là. T'sais, pas dans le détail, c'est même pas un détail, faut pas le dire comme ça, Il y a eu des drames. Des fois, on se sent un peu menotté de dire d'autres choses que c'est épouvantable. Mais si on enlève ça, puis je réagis à ce que tu dis, je trouve qu'il y a une tentation incroyable quand même dans des situations comme ça de faire un clivage massif dans plein de circonstances, dont de dire il y avait un avant où l'entreprise était publique et c'était donc bon, avec tout ce que ça implique, un meilleur service, l'humanité, les gens, tout ça. Et après ça, il y a eu un moment où c'est privé. Ah, cash flow, capitalisme, méchant, mauvais service. Et de rester dans ces quatre camps-là, et même je fais le lien avec ce que... ce que Christophe Dejour dit qui, pour moi, c'est séduisant comme théorie de dire il y a eu un moment où c'est plus des ingénieurs qui mènent, c'est des managers qui arrivent froidement avec leur théorie et voici après ça comment la situation du travail se détériore et les gens souffrent. Ça serait séduisant et c'est sûrement vrai à plein d'égards, mais pour moi c'est un peu l'équivalent un peu l'équivalent de quelqu'un qui dirait, il y a eu un moment, en 1952, où la télé est arrivée, avant, les gens, ils dansaient, ils chantaient, ils fraternisaient, puis après, bien, ils souffraient tous seuls dans leur coin, rivés à l'écran. [00:25:41] Speaker A: Bon. [00:25:41] Speaker B: Mais tu sais, c'est pas faux, là. Moi, je me suis fait dire ça par mon père, entre autres, là. Mais je pourrais le dire aujourd'hui, avec l'arrivée du téléphone, je pourrais dire, ah, avant, les gens, ils sortaient, ils se voyaient, puis maintenant, les jeunes sont arrivés sur Instagram. Tu sais, il y a plein de moments, des fois, reliés à ton passage dans la vie, c'est-à-dire que la nostalgie se situe au moment où tu avais 10, 15 ans, et l'avant, donc, ta jeunesse, c'était beau, puis après, il y a de quoi qui s'est passé, puis c'est l'enfer. [00:26:14] Speaker A: Des sorties du paradis terrestre. Oui, c'est ça. [00:26:18] Speaker B: Mais, ça ne gêne pas, je continue de plus loin ma métaphore, c'est toujours le même principe, ça serait un peu comme de dire, quand j'étais jeune. [00:26:28] Speaker A: Dans. [00:26:28] Speaker B: Ma belle jeunesse lavaloise, il y avait une place où c'était un petit restaurant de quartier. C'était le fun, c'était pittoresque. Il y avait de l'humanité, il y avait une arme. Puis à un moment donné, quand j'avais 15, 20 ans, c'est devenu plus industriel. Les restos ont décidé qu'il fallait qu'ils s'organisent puis qu'ils fassent des... C'est des chaînes, une chaîne achetée. Puis c'est devenu finalement un maillon d'une grande chaîne Puis tout ce qui était sympathique est parti, puis c'est devenu froid, c'est devenu plus propre, plus efficace. Avant, c'était beau, c'était un vrai beau burger servi par une madame le fun qui connaissait mon prénom. Puis après, c'est devenu un truc déshumanisé, etc., etc. Mais chaque personne peut trouver ça pour sa jeunesse. Mais c'est pas nécessairement vrai. Parce que si je retourne et que tu parles à quelqu'un, je garde ma métaphore du resto, si je retourne et que je parlais à quelqu'un qui travaillait dans la place que moi je trouvais qui était donc humaine, ça se peut qu'elle me dise pas tant que ça. Le patron, c'est méchant bourlu de bonhomme. C'était tout crassé, c'était sale, c'était pas le fun. Puis je pourrais parler à une autre personne qui prend le même restaurant puis qui trouve que les belles années de ce restaurant-là, c'est pas les années dont je parle, ça c'était déjà, le ratage était poigné quand moi je trouve ça nostalgique. Sa vraie nostalgie, lui, il y a 20 ans avant, quand le monde avait le droit de fumer dans le restaurant, Puis t'sais, c'est une autre patente, lui, sa nostalgie. Puis c'est quand il est arrivé d'autres choses que ça se crappait. Puis ça se déplace comme ça, selon un truc très moélique pareil, où selon ton passage dans la vie, c'est là que se situe la perte du paradis. [00:28:14] Speaker A: Oui. [00:28:15] Speaker B: Ça fait que bref. Est-ce... Bref. Il y a une tentation de clivage dans... tout le temps dans la façon de raconter une histoire qui est très séduisante. [00:28:27] Speaker A: Oui. [00:28:30] Speaker B: Puis c'est tout ce que je voulais dire, en fait. C'est probablement faux de penser que le milieu public avant le France Télécom, avant le virage, la bascule dans le privé, n'étaient que des gens qui avaient à. [00:28:44] Speaker A: Cœur leur travail... Qui étaient contents et reconnus et respectés. [00:28:49] Speaker B: Ben oui, puis qui avaient à cœur le service à la clientèle. Ils devaient avoir plein de longs jeux de murs. qui attendaient leur retraite en faisant pas grand-chose. Comme partout, là. Je veux dire, comme partout. Mais bon, pourquoi le dire? C'est-tu nécessaire de dire ce que je viens de dire? Sinon, pour dire quand même que la tentation du clivage et le plongeon dans le clivage n'est pas toujours la meilleure façon d'éclairer ce qui s'est passé. [00:29:16] Speaker A: C'est ça. En fait, c'est une mise en garde. [00:29:20] Speaker B: Voilà. [00:29:20] Speaker A: C'est une mise en garde. Il est arrivé des changements majeurs, effectivement. Si on veut mesurer les effets ou évaluer correctement les effets des changements majeurs qui sont arrivés dans l'histoire de France Télécom, il faut essayer de faire attention de ne pas trop faire de littérature, puis de rester le plus mesuré possible dans les comparaisons avant-après, disons. Parce qu'en fait, pourquoi je le dis comme... c'est vrai, tu as raison, je suis totalement d'accord avec toi, en même temps, Il y a quelque chose de particulier et, à ce que j'en comprends, de relativement inédit ou entre de nouveau. dans le fait de suicides à répétition sur les milieux de travail. C'est ce que je retiens, entre autres, de la présentation de Christophe Dejour. C'est que c'était pas les gens qui étaient malheureux au travail, allaient pas nécessairement faire un coup d'éclat sur le milieu de travail. avant cette vague-là. C'est un phénomène qui est connu, ça, la contagion. Le phénomène de contagion. En même temps, la contagion, ça se répand pas sur un terrain vierge. Tu sais, tu vas pas simplement aller te suicider parce que le voisin l'a fait. Il y a comme un... Donc, l'idée de message, d'une forme de détresse qui amène ce genre de passage à l'axe sur le milieu de travail, c'est peut-être quelque chose à entendre. [00:31:07] Speaker B: Et à essayer de comprendre. [00:31:09] Speaker A: Comme un phénomène nouveau. [00:31:10] Speaker B: Tout à fait. [00:31:10] Speaker A: Comme un indicateur. [00:31:13] Speaker B: Oui, oui, tout à fait. Oui, oui, non, je suis bien d'accord avec toi. Mais puis en même temps, tu vois, moi, je... Pour revenir à... Pour revenir à ce que je disais... Pour vrai, je crois ça que, parfois, dans toutes sortes d'histoires, pas dans celle-là en particulier, nécessairement, mais dans plein, plein de drames, de choses qui se passent, d'études de cas, de cas, les tentatives de compréhension, à un moment donné, Il y a une tentation de trouver un moment où ça bascule, puis d'en faire un avant après, puis de cliver quelque chose. Puis, tu sais, ça simplifie, puis ça donne corps à ce qui s'est passé, puis ça permet d'expliquer. Puis je pense qu'il y a un danger à ça. Bon, je le crois. Mais je pense aussi, par ailleurs, pour vrai, qu'il y a un danger à dire ce que j'ai dit. C'est-à-dire que ce que je viens de dire, c'est... Je peux penser qu'il y a des gens qui trouveraient ça inapproprié. C'est pour ça que je vois beaucoup d'amis. Parce que ça vient banaliser aussi. C'est-à-dire que moi, j'ai... Par exemple, dans ce cas-là, il y a une façon de pardonner ou de justifier au patron. Il y a une façon très simple. [00:32:54] Speaker A: Oui, c'est quoi? [00:32:56] Speaker B: C'était lequel? Bien, c'est toujours comme ça. Tu dis, les patrons étaient obligés. Il y avait une crise, une crise financière. Pour la viabilité de l'entreprise, ils devaient prendre des décisions difficiles. Donc, il fallait qu'elles lègent la masse salariale. C'était pas facile. Là, tu poses question-réponse. C'est toujours ça le truc qu'ils font. Est-ce que c'était facile? Non. Est-ce qu'ils ont fait de leur mieux? Oui. Est-ce qu'ils ont toujours pris les bonnes décisions? Non. Est-ce qu'ils auraient pu faire mieux? Bien sûr. Est-ce qu'ils ont appris? Certainement. Puis là, tu positionnes... Puis là, tu finis en disant, est-ce que toi, t'aurais fait mieux? Puis là, tu dis, ouin, bien peut-être pas. Fait qu'il y a une façon de banaliser aussi. Puis donc... en disant, ah, il y a une exagération, il y a du clivage, ça va des fois dans le sens de rendre ça plus lisse, plus simple, de tout mettre sur le même pied d'égalité, puis de dire, bon, bien, essentiellement, il y avait quelque chose de difficile à faire, et nécessairement, il y a eu des ratages, mais bon, tant que tout le monde est de bonne foi ou... Bien, puis j'ai vu, il y a une dame qui se fait interviewer, puis qui dit essentiellement ça, puis elle a l'air tout à fait sincère, elle a dit, bien, Elle dit, moi j'étais impliqué. Elle dit, on n'a pas pensé que ça se passerait comme ça. Ça nous a dépassé à un moment donné, mais on faisait de notre mieux pour essayer de faire en sorte qu'on pourrait suivre les objectifs. Bref. La tentation de simplifier pour comprendre, elle est forte, mais il y a aussi une tentation de banaliser ou de rendre ça, en fait, où il n'y a plus d'imputabilité à personne. Parce que tu dis, encore une fois, je me répète, mais tu dis, si c'était une situation difficile, nécessairement, il allait y avoir des gens malheureux. On aurait pu faire mieux, mais on a fait de notre mieux. Puis là, après, ça amène à une espèce de... [00:34:49] Speaker A: Mais est-ce que ce n'est pas un petit peu à ça que, peut-être, Christophe Dejour réfère, entre les lignes, c'est... [00:34:59] Speaker B: À. [00:34:59] Speaker A: L'Idée au-delà de dire avant c'était comme ci et maintenant c'était comme ça, autrefois le travailleur était respecté et maintenant il ne l'est plus par exemple. Est-ce qu'il n'y a pas l'idée de dire mais en fait derrière, c'est-à-dire il y a le discours et il y a la vie réelle et le discours managérial, disons, qui dit des choses comme ça. La situation était difficile. Alors la situation était difficile pourquoi? Parce qu'on regardait les chiffres. Les chiffres nous disaient tant de pourcents, tant de plus, tant de moins, tableau, tableau, c'est comme ça que ça fonctionne. courbes, montantes, descendantes, valeurs de l'action, coûts de la masse salariale, coûts des opérations, blabli, c'est des... OK? Marketing, mise en marché, ça, c'est le discours managérial qui va dire, oui, est-ce qu'on aurait pu faire autrement, bien sûr. [00:36:04] Speaker B: Ou... Est-ce que des gens ont été blessés? Bien sûr. Est-ce qu'on est triste? Oui. [00:36:08] Speaker A: Tirons-nous des conclusions pour l'avenir? Absolument. Ça, c'est insupportable si c'est complètement déconnecté de la réalité, de la vie réelle. Alors la vie réelle, Un ingénieur qui est gestionnaire dans une boîte d'ingénieurs et qui a monté, gravi les échelons pour devenir gestionnaire, cadre, comprend les problèmes d'ingénierie. Il y a... Quelqu'un m'a parlé des sept niveaux de gestion par-dessus lui, qui lui envoient des demandes de choses à construire ou à concevoir qui ne se peuvent pas dans la réalité physique. Et qui lui disent, mais je suis sûre que t'es capable. le décalage entre une vision de gestionnaire qui ne comprend pas la réalité du travail qu'il gère, c'est insupportable pour ceux qui exécutent le travail. Hein? [00:37:29] Speaker B: Oui, mais tu trouves-tu que, rendu là, c'est quasiment le procès de la privatisation d'une compagnie ou du capitalisme? [00:37:41] Speaker A: En partie? [00:37:42] Speaker B: Parce que je trouve que ça vient colorer beaucoup la position d'une personne par rapport à ça, comment c'est compris, puis les métaphores utilisées pour décrire ce qui s'est passé. Parce que tu sais, si je te dis, il y a une grosse entreprise privée, avec disons 100 000 employés, qui décide, c'est pas des employés syndiqués, qui décide de se départir de 10 % de sa masse salariale de 10 000 employés. Et ils décident ça cold, voici. [00:38:10] Speaker A: Comme Bell l'a fait il y a. [00:38:12] Speaker B: Un mois à peu près. Oui, mais ils peuvent dire, voici les raisons aussi, c'est que le marché a changé, la compétition, il y a des avancées technologiques qui font en sorte qu'il y a des postes qui sont caduques parce qu'on peut le faire différemment, puis mieux, puis toute cette patente-là qu'on entend. Puis admettons que, donc ils décident ça, puis ils le font, disons, dans les règles de l'art, admettons. Tout le monde est annoncé, est averti d'avance. Dans le milieu, il y a du soutien, il y a du support. Je veux dire, dans les faits, il y a tout le temps du monde éventuellement qui vont dire, moi, j'ai été un peu shaké, j'ai joué ça de mode d'art. Tu peux pas faire ça parfaitement. Il y a tout le temps quelqu'un qui va trouver ça dur, parce que ça fait 15 ans qu'il est là. Même si t'essaies, puis t'expliques, puis tu paddles, puis tu what tout le monde, ça va être difficile. Donc la vision est différente si tu te dis, ils ont le droit de faire ça, puis ils doivent le faire, puis ils sont courageux de le faire, puis tant mieux, puis c'est nécessaire, puis ils l'ont très bien fait, bien fait, mieux fait. Tu sais, parlons du registre. Et des fois, c'est très mal fait, comme disons dans le cas de France Télécom. Et là, il y a un moment donné, il y a un seuil qui est franchi, et c'est tellement mal fait que c'est dramatique. Donc ce point de vue-là est différent de dire, ils devraient même pas... mettre dehors 10 000 personnes. La logique est fausse. Ça s'inscrit dans une logique capitaliste fausse. [00:39:35] Speaker A: Tu comprends? [00:39:35] Speaker B: Là, c'est un différent discours. Et j'ai l'impression que dans le cas de France Télécom, tu vois la façon dont les gens en parlent, où ils se situent. Donc, est-ce que c'est... Cette décision difficile a été tellement mal faite parce qu'ils ont franchi un seuil d'harcèlement institutionnalisé qui a eu des effets terribles, Il n'y aurait même pas dû penser le faire. [00:40:00] Speaker A: Oui, c'est ça, mais t'sais... T'as introduit ton propre clivage, en fait, en posant la question comme ça, si je peux me permettre. [00:40:08] Speaker B: Oui, vas-y. [00:40:08] Speaker A: Parce que c'est... En fait, le clivage, ce serait tout l'un ou tout l'autre. La gauche ou la droite, d'une certaine façon, pour le caricaturer. C'est-à-dire le point de vue patronal ou le point de vue des marchés, disons. Il faut réduire les dépenses parce que telle banque réclame son argent, ou on a des dettes, ou je... Bon, et comment on rationalise, etc., ce discours-là? Donc, il y a des décisions difficiles et nécessaires qu'on doit prendre. La-la-la, tu sais? Ce discours-là, tout ce côté-là est à le discours. républicains, disons, à la française, de gauche, qui dirait, mais respectez les travailleurs. Vous pouvez pas mettre à pied comme ça, n'importe comment, des travailleurs qui ont donné 30 ans de leur vie à votre entreprise et qui y ont mis leur coeur, leur âme et qui y trouvent leur identité. Vous pouvez pas faire ça. C'est... à bol capitalisme, en fait. C'est des extrêmes. Mais c'est des extrêmes, c'est-à-dire c'est deux points de vue clivés. Mais entre ça, il y a différentes questions qui peuvent se poser dans différents registres. Qu'est-ce qui motive cette absolue nécessité de couper dans la masse salariale? Est-ce que l'objectif visé et juste par rapport aux grands objectifs qu'on souhaite atteindre, par exemple. Parce que ce qu'ils ont fait, France Télécom, on en parlera bientôt, mais ce qu'ils ont fait, c'est pas de licencier des gens comme Belle l'a fait à tort ou à raison récemment, d'introduire des tactiques de torture, en fait, qu'on connaît, à rendre les gens fous pour les faire partir, comme disait M. Didier Lombard, que c'est passé à l'histoire, là, par la porte ou par la fenêtre. Ils vont partir et c'est tout. Et là, moi, Didier Lombard et mes amis, on se trouve avec un problème. qui est qu'on ne peut pas les mettre dehors parce qu'il y a des conventions puis il y a des lois, tu sais. Mais j'ai des objectifs. Alors, c'est quoi tes objectifs? Pourquoi tu as des objectifs? Est-ce que c'est pour ta prime personnelle? Est-ce que c'est vraiment... Est-ce que ça a eu vraiment l'effet que tu escomptais de monter la valeur de l'action en bourse? Vois-tu, l'objectif lui-même est questionnable sans nécessairement avoir à se rendre à la révolution. Tout à fait. [00:43:06] Speaker B: Oui, oui, je comprends bien. [00:43:09] Speaker A: Mais c'est juste qu'il me semble que dans cette logique-là managériale, autant il y a un angle mort, j'imagine, du côté des travailleurs parce que ce qu'ils ont à cœur, c'est leurs intérêts à eux. Mais du côté managerial, puis j'aime ça dire managerial parce que c'est comme j'en ai entendu plein dire ça en France. Ici, on dit gestion, du côté de la gestion. Managerial, ça montre le côté un peu... En tout cas, américain, en fait, disons. Mais un aveuglement, dans les chiffres et dans des mots... dans des mots de managérisme. [00:43:53] Speaker B: Oui, oui, tout à fait. Bien oui, non, tout à fait. Oui, oui. Puis, tu sais, c'est fascinant, je trouve, à décortiquer parce que si tu crois, entre guillemets, au point de vue managérial, c'est-à-dire si t'embarques dans l'idée de dire, bien, regardez, La compagnie est devenue trop lourde, trop grosse. Il faut l'amincir. C'est ça des mots qui sont employés. Il faut qu'elle devienne plus lean. Il faut que ça soit allégé pour être plus souple, pour pouvoir s'adapter à une compétition qui, elle, est plus souple et qui innove plus rapidement que nous. Si tu crois tout ça, à un moment donné, c'est vrai que c'est malheureux d'avoir à couper du monde, On n'a pas le choix. Après ça, c'est juste l'objectif est valable. C'est une question d'une mauvaise méthode, une mauvaise mise en marche de la méthode, mais il n'y a pas de doute qu'il fallait le faire. On est convaincus. Mais là, ce que tu amènes, c'est de dire oui, mais est-ce que vraiment, après avoir fait plein d'acquisitions tout croche et d'avoir gonflé l'endettement, La première solution, c'était d'enlever l'emploi à tes travailleurs. Il n'y avait vraiment rien d'autre qu'on pouvait faire avant même de se dire comment le faire. Mais c'est vrai. Donc, si tu es dans la machine capitaliste, tu acceptes la prémisse que c'était correct de rendre une organisation plus ligne pour qu'elle reste compétitive. C'est fondé là-dessus. [00:45:23] Speaker A: Oui. Oui. Et tu l'as bien dit, c'est une croyance. Parce que d'exemples d'entreprises qui prennent des décisions comme ça, puis que ça marche pas, puis qu'ils reviennent en arrière, puis qu'ils ont perdu de l'argent à cause de ça, puis qu'ils ont perdu des talents, il y en a plein. [00:45:41] Speaker B: Ben oui. [00:45:42] Speaker A: C'est une foi. T'as la foi. dans la nouvelle mode managériale qui dicte et qui décrète que c'est la nouvelle mode, la compétition, la vraie traduction du mot compétition, c'est la mode. Mon voisin a décidé de faire ça, il est dans le même domaine que moi, il faut que je fasse comme lui, parce que sinon, tu vois, c'est une sorte de foi, en fait. [00:46:06] Speaker B: Mais donc, mon point, c'était aussi de dire que c'est aussi un acte de foi, par ailleurs, de dire, si t'enlèves la compétition, puis tu donnes des jobs garantis à tout le monde sans compétition dans un monopole, les gens vont rester à l'affût puis dévoués à leurs gens sans qu'il n'y ait pas nécessairement un 10-15 % qui longe les murs. Mais moi, je sais que quand j'ai ces conversations-là avec mon père, il va être d'accord avec ça, mais il va dire les longesures de murs qui font pas grand-chose parce que c'est garanti puis qu'ils se rendent au travail, ils prennent un petit café puis tout ça. bien, c'est pas grave. Je veux dire, ça fait partie de la vie, ça, d'avoir du monde qui sont moins performants. C'est pas grave. C'est pas grave. Ça fait... On peut... C'est pas grave. Puis, même si quelqu'un pourrait dire, bien, c'est pas grave, c'est pas grave, puis, dans le fond, pour continuer à progresser, c'était la vision du progrès. Ça prend du monde qui ont faim, puis pour avoir faim, il faut qu'il y ait de la compétition, puis pour qu'il y ait de la compétition, puis là, ça change de système, finalement, ça devient l'apologie du capitalisme. [00:47:13] Speaker A: Mais c'est ça. Mais c'est pas un ou l'autre. C'est pas du... C'est... C'est-à-dire, mettons qu'on prend ce chiffre-là, que 15 % allongent les murs ou sont heureux de se faire placarder, comprennent, ont pas envie de mettre l'épaule à la roue, attendent tranquillement leur retraite, puis bon, c'est tout. Admettons que le chiffre, c'est 10-15 %, mais tu vas pas décider à la haute direction que tu coupes 12 % de tes salariés, peu importe lesquels. C'est-à-dire, comment tu les identifies, ces gens-là, si t'es pour couper, ou comment c'est à ces gens-là que t'offres... Pourquoi tu leur offres pas un... Tu comprends? C'est qu'il y a des façons de gérer qui impliquent pas nécessairement un ou l'autre. [00:48:03] Speaker B: Oui, oui, oui, tout à fait. Non, puis dans ce cas-là, puis là, peut-être qu'on peut arriver aussi à ce qui s'est passé pour pas juste... faire de la méta-analyse, indépendamment de notre vision de si l'objectif de couper 20 000 personnes était louable ou non, c'est-à-dire était recevable ou était correct parce qu'il fallait le faire. Donc, qu'on pense qu'ils devaient le faire ou non, la façon dont ils l'ont fait, ça s'est déployé au procès, était épouvantable. [00:48:29] Speaker A: Oui, c'est le moins qu'on puisse dire. [00:49:05] Speaker B: Alors, évidemment, j'ai l'impression qu'en parlant comme on le fait depuis quelques minutes, et j'en suis instigateur d'une façon assez large, un point de vue synoptique, on pourrait dire, pour étaler mon vocabulaire, on rentre pas nécessairement dans le vif du drame, mais en même temps, pas tant, c'est pas si pire, parce que la façon dont on parle depuis quelques minutes explique aussi la posture des prévenus, des patrons lors du procès. C'est quand même incroyable. Ça a été dit et redit à plusieurs reprises. Pendant tout le long du procès, en fait, les dirigeants, les prévenus, comprennent pas ce qui leur arrive. C'est le moins qu'on peut dire. Ils badinent, ils se reposent, ils font des blagues. Justement parce que, moi, je pense, parce qu'ils s'inscrivent dans la logique dans la logique dans laquelle ils sont, qu'il y avait à faire ce qu'on fait, qu'on leur a demandé, que le gouvernement a décidé de privatiser, ils ont privatisé, ils devaient réduire, ils l'ont fait, ils comprennent pas ce qu'on peut leur reprocher. Et même jusqu'à un moment donné que certains d'entre eux disent, les gens, on est bien sympathique aux gens qui ont souffert, mais on les connaissait pas, on leur a pas parlé comment on pourrait être responsable de monde à qui on n'a jamais parlé, qu'on connaissait pas. Donc, la logique dans laquelle quelqu'un s'inscrit et réussit, dans laquelle il y a foi, comment il se convainc, tout ça va influencer des actes et faire en sorte, à un moment donné, que dans ce cas-là, justement, quand les victimes arrivent avec un autre point de vue, c'est même pas... On dirait que c'est même pas reçu, à la limite, non? [00:50:51] Speaker A: Oui. Puis les victimes qui arrivent avec un autre point de vue, c'est pas un point de vue... [00:50:57] Speaker B: Théorique, non? [00:50:58] Speaker A: C'est ça. Ça a rien de conceptuel. Là, ce dont on parle, c'est de souffrances extrêmes causées par un environnement de travail et des décisions administratives, organisationnelles, violentes, conçues exprès pour les faire partir. Il y a des gens qui ne comprenaient pas qu'on voulait les faire partir, c'est-à-dire qui comprenaient qu'on voulait les faire partir, mais qui ne voulaient pas partir, leur identité ayant été longtemps attachée à leur travail. Alors, ça marchait bien, ça marchait bien, ça marchait bien, puis du jour au lendemain, on se met à les harceler de toutes sortes de façons, en usant de toutes sortes de stratagèmes explicitement conçus pour les motiver à s'en aller par la fenêtre ou par la porte. Et pourquoi cette phrase-là est restée? C'est parce que c'est littéralement, il y a des gens qui se sont littéralement défenestrés dans cette entreprise-là à cause de cette espèce de, comment tu parlais, de programme next, de logique managériale, folle. Quelqu'un qui disait comme c'est l'entreprise devenue folle ou c'est une gouvernance maltraitante. C'est des expressions qui sont ressorties. Alors tu as des gens, parce que la mécanique est, tu sais, Le déni, c'est quelque chose. C'est comme, qu'est-ce que tu fais face au déni? Là, t'as des gens qui se retrouvent accusés personnellement, mais à cause de leur fonction professionnelle, accusés personnellement de harcèlement moral à l'égard d'employés qu'ils ne connaissent pas individuellement, mais qui ont agi, qui sont passés à l'acte ou sont tombés malades. à cause de leurs décisions à eux. Alors, ils sont là à dire, mais oui, mais non, mais moi, je connaissais pas ce monsieur. Et puis, c'est injuste qu'on m'accuse. Moi, j'avais un... j'avais une job à faire. [00:53:24] Speaker B: Oui. [00:53:26] Speaker A: Oui, c'est ça. [00:53:27] Speaker B: J'avais un mandat. [00:53:28] Speaker A: J'avais un mandat. [00:53:29] Speaker B: Alors, prenez-vous en celui qui m'a donné le mandat, si vous êtes pas contents. [00:53:32] Speaker A: Mais c'est ça. Moi, j'ai bien fait mon travail. Je comprends pas qu'est-ce qu'on me reproche. [00:53:37] Speaker B: Et on m'a même félicité, parce que ça aussi, en 2008, il y a eu gagné un prix. [00:53:41] Speaker A: Didier Lombard, oui. [00:53:43] Speaker B: Oui. Mais c'est là qu'on peut comprendre aussi sa mécompréhension jusqu'à un certain point, dans le sens qu'il est renforcé dans un autre courant de la vie. [00:53:52] Speaker A: Oui. [00:53:53] Speaker B: Où on lui dit bravo, bel job, le cash flow s'améliore, l'action a monté. [00:53:58] Speaker A: Oui. C'est le... La force des biais cognitifs, mais aussi la force du déni, c'est quelque chose d'assez épatant à voir. Parce que même confronté à des victimes, il n'y a pas de moment où il y a eu un éclair Oui, non, c'est ça, c'est vrai ça. Même l'idée d'essayer de dire ben je suis désolée des effets collatéraux, je me rends compte que, tu sais. [00:54:38] Speaker B: Moi j'ai pas suivi beaucoup le procès, c'est tout dans l'après coup, j'ai pas passé tant de temps, mais à mon sens, Il n'y a pas eu de moment où un des dirigeants, peut-être à part une peut-être, mais de Didier Lombard, un effondrement disons, où là on le voit pendant un court instant, où le réel de la souffrance des victimes vient percer tout le discours, puis là, devant un témoignage de quelqu'un qui raconte comment son père s'est immolé devant l'édifice, puis toute la souffrance, où là, d'un coup, tout ton château de cartes idéologique, momentanément, des fois, là, mais s'effondre. Puis juste le fait de voir quelqu'un pleurer ou la voix qui tremble, là, tu sais, tu te... tu portes un moment, puis après ça, tu peux te rebâtir en disant, oui, mais là, honnêtement, c'est pas de ma faute, mais... Mais à ce que je comprends, il n'y a même pas eu ça. [00:55:27] Speaker A: Non. [00:55:28] Speaker B: Où les gens ont senti que... comme ça leur rentrait dedans, figurativement parlant, tout ce qui s'est passé. C'était comme ils continuaient à pas trop catcher pourquoi on leur reprochait, quoi que ce soit. Mais c'est ça qu'on a dit, hein? [00:55:42] Speaker A: Oui. Mais la question, c'était un petit peu... En fait... La question, c'est aussi un petit peu, c'est quel type de personnalité, ça, que ce monsieur, monsieur Lombard, ou que ces gens-là, les hauts dirigeants, probablement que dans la grande entreprise, dans les hautes sphères, là, de la grande entreprise, comme dans les médias ou comme dans certains corps de métier, il y a un plus grand nombre de types de gens, de ce qu'on appelait autrefois, je vais faire attention aux mots que j'emploie, mais disons, avec des traits narcissiques forts, des gens qui sont intéressés par le pouvoir, le prestige, la richesse, ces choses-là, que c'est leur principal motivateur, probablement. La question se pose, mais quel genre de personnes, il me semble en tout cas, Quel genre de personne va dire sans rigoler, puis même fièrement, bon ben on doit se débarrasser de 22 000 personnes et ils vont partir par la porte ou par la fenêtre? Ou bien donc, non mais franchement il faut que cette mode des suicides cesse, ça scandalise tout le monde. Ou bien donc, il y a d'autres choses de cette nature, d'une indifférence, d'une indélicatesse, d'un manque de... d'humanité de base. [00:57:19] Speaker B: Oui, parce que quand lui est parti, éventuellement, Lombard a été remplacé par quelqu'un d'autre dont j'oublie le nom en 2010. Oui. Donc, j'ai vu une entrevue avec lui, entre autres, qui disait, bon, bien, une des premières choses à faire, puis qu'on va le faire dès maintenant, c'est d'arrêter les mobilités forcées. [00:57:37] Speaker A: Oui. [00:57:37] Speaker B: Tu sais, c'est vrai que t'as pas l'impression qu'ils ont rapidement pris un pas de recul en disant, indépendamment de si nos objectifs sont louables ou non, indépendamment de plein de débats sur la légitimité d'une chose et de l'autre, il y a des ratages dans l'exécution. Il y a trop de monde qui souffre. Il faut arrêter, puis prendre du recul, puis se réajuster. T'as même pas l'impression que c'est venu vite, ce mouvement-là. Il y a eu beaucoup de déni over time, parce que... [00:58:13] Speaker A: C'est ça, c'est la question du déni. Je trouve que c'est au cœur de l'affaire. Il me semble, le déni des patrons, de l'humanité de leurs employés, déjà pour commencer. Un déni qui se répercute à tous les niveaux de gestion, tous les échelons en dessous. Et puis, il faut dire, tu sais, comme il y a des bureaux régionaux partout en France, de France Télécom à ce moment-là, et il y a des gestionnaires, des managers à tous les niveaux. Ces gens-là sont invités à suivre des cours de formation pour apprendre à hackerer le monde. à secouer le cocotier, quelqu'un qui disait, mais moi, il faut que je fabrique de l'amnésie. C'était quoi exactement la citation? Il est allé voir une sociologue qui était impliquée dans ce dossier-là, puis il lui a dit que sa job, il était là pour créer de l'amnésie, en fait, que les gens se souviennent pas de ce qu'ils ont fait avant la Nouvelle Gestion et qu'ils embrassent complètement la Nouvelle Gestion. Le déni de la réalité des employés qui va jusqu'à encourager les gens à tous les niveaux de gestion à inventer des solutions pour martyriser les employés, pour les forcer à partir. une fois que là, on commence à se rendre compte ou à nommer qu'il y a des suicides causés directement par France Télécom, bien, c'est un déni que ce soit causé par France Télécom. Puis après, une fois qu'on a réussi à monter le dossier puis à l'amener en cour d'assise, bien là, c'est le déni que c'est de ma faute. Tu sais, le déni que j'ai rien à voir là-dedans, c'est le déni qui souvent, en fait, cause le sentiment de ne pas être entendu, ça rend fou. [01:00:13] Speaker B: Ben oui, c'est sûr. Mais bon, on peut le dire en parlant de déni, puis on peut, moi j'imagine, en parler en utilisant un autre mot qui est une façon plus commune de dire quelque chose de semblable, c'est-à-dire de... Il se crée une espèce de bulle narcissique aux différents paliers, ou quand t'es dans l'échelle supérieure, comme Didier Lombard, Tu n'as pas accès au monde. Ils ne te parlent pas à toi. Donc toi, tu ne t'y connais pas, tu n'entends rien. Mais non seulement ça, mais les gens autour de toi qui te parlent, c'est pour te narcissiser. [01:00:48] Speaker A: Oui, bien oui. [01:00:49] Speaker B: À un moment donné... Tu vois, tout le monde te dit que t'arrives au bureau, tu fais une petite boutade, tout le monde rit. Puis des fois, je le connais pas ce monsieur-là, mais des fois, t'as déjà des aprioris où t'aimes bien ta personne, là. T'es toujours renforcé de tous les côtés. Puis t'as des assistantes, des assistantes qui te chouchoutent, puis qui amènent tes trucs, puis qui rient, puis qui font... Fait qu'à un moment donné, Tu es dans des galas, tu reçois des prix, tout le monde rit de tes blagues, tout le monde est un narcissiste, et tu es complètement coupé du monde qui, après, te font des reproches. C'est un déni, mais c'est aussi une espèce de bulle de narcissisme. qui s'auto-propage, là. Puis c'est la boutade de... C'est quoi, non? J'oublie toujours, là. La personne où c'est toute son... La reine où tous ces gens meurent. [01:01:40] Speaker A: De faim, puis a fini... Marie-Antoinette, qu'on leur donne de la brioche. [01:01:44] Speaker B: Oui, parce qu'ils ont plus de pain, hein. [01:01:46] Speaker A: Oui. Le peuple a faim, oui. Le peuple a plus de pain, oui. [01:01:49] Speaker B: Qu'on leur donne de la brioche, je vois pas pourquoi qu'ils se plaignent derrière. [01:01:51] Speaker A: Oui, oui. [01:01:52] Speaker B: Tout le monde est en train de crever, là. [01:01:53] Speaker A: Oui. [01:01:54] Speaker B: Mais bon, bien, c'est ça, c'est... La bulle, le déni, c'est comme le revers d'une même chose. Ils se sentent pas bien, mais qui aillent travailler ailleurs. Moi, quand mon mandat va être fini, je vais aller travailler ailleurs. Je comprends pas leur histoire. [01:02:08] Speaker A: Oui. Oui. Et quand on... Quand on nous parle de biens inconscients dans un autre registre, dans un autre ordre d'idées, c'est aussi de ce qu'on parle. Par exemple, je ne comprends pas, je n'ai pas accès à ces gens. Et puis là, t'as Didier Lombard, filmé, qui fait une tournée alors qu'on est en pleine vague, en pleine crise, qui fait une tournée des centres d'appel. et un employé qui est un ingénieur, qui travaille en centre d'appel et qui s'en va dire à la caméra, parce que la caméra suit Didier Lombard dans sa tournée, c'est une opération marketing. Bien, il y a une journaliste qui va interroger le téléphoniste, puis le téléphoniste qui dit, bien, c'est un peu difficile, moi, ça fait deux ans que je suis réaffectée. Puis tu vois le réceptionniste ingénieur, la voix cassée. et qu'il faudrait que ça cesse, t'sais. Et la journaliste qui lui demande, mais donc vous comprenez les gens qui peut-être en arrivent, en viennent à bout, il dit, ben oui, je les comprends, oui, c'est un peu dur quand même, t'sais. Didier Lombard est dans la même pièce, en même temps. Puis donc, la journaliste lui demande, mais est-ce que vous avez pu parler à M. Lombard? Oui, oui, j'ai pu lui dire, en fait, nos préoccupations. Est-ce que vous sentez que vous avez été entendu? M. Lombard dit, bien, je pense que oui, parce qu'il nous a dit, bon, bien, que l'année prochaine, il y avait des plans pour nous relocaliser, tout ça. On peut pas dire que Didier Lombard a pas vu, tu comprends, des employés. Je pense qu'on peut dire que Didier Lombard s'en foutait un petit peu des employés. Tu vois-tu? Quand tu te promènes, là, puis que tu... Bon, là, c'est... c'est une réaction. Comment... Tout ce que j'ai entendu, en fait. Tu te promènes, comme Louis XIV... Tu sais, parmi la plèbe, mais ce que tu vois, c'est pas des égaux, là. [01:04:12] Speaker B: Non, non, exact. Pardon. [01:04:14] Speaker A: Ce que tu vois, c'est une masse salariale. [01:04:16] Speaker B: Oui, oui, c'est ça, exact. [01:04:18] Speaker A: Et des gens en dessous de toi, et ça, y'a pas de remède à ça. C'est comme ça. [01:04:25] Speaker B: Oui, mais puis c'est là aussi que, quand t'es dans une logique ou... une logique compétitive, où tu penses pour vrai dans ta logique que tout le monde a une chance égale de réussir, réussir, c'est monter dans les échelons. Ceux qui ne montent pas dans les échelons ne réussissent pas parce qu'ils sont pas bons. Donc, ils veulent pas grand-chose. Donc pourquoi je m'en soucierais? Ce logique-là aussi vient imprégner tout, de dire que de toute façon, c'est un pauvre type. S'il valait quelque chose, il serait rendu VP, puis il aurait grimpé. Puis c'est à lui de travailler et de se débrouiller. Mais il y a tout ça aussi, tu sais, d'une espèce de classe sociale. [01:05:09] Speaker A: Aussi, que c'est très fort. Oui, mais aussi, c'est que tu vois, c'est le double discours, c'est comme penser des deux côtés de la tête, en fait, parce que d'un côté, il y a ce truc-là, il y a les petites gens et il y a nous. Il y a les petites gens et il y a le marché, en fait. C'est ça, là. C'est quoi le marché? Le marché, c'est comme quoi... [01:05:27] Speaker B: C'est les petits gens réunis. [01:05:30] Speaker A: Bien non, c'est nous, c'est les grandes gens. Le marché, c'est nous, c'est moi, mon compétiteur. Mon compétiteur, c'est tel gars que je connais. Pour eux, c'est pas de l'abstraction. Pour nous, c'en est, le marché. Mais c'est des gens. C'est un milieu, le marché. Donc tu as ça d'un côté, le marché exige le nom des actionnaires de ceci, le nom. Puis ça, c'est des pauvres petites gens. Puis de l'autre côté, des employés hyper performants, hyper valorisés dans leur travail, créatifs, qui ont gravi des échelons à cause de leur performance professionnelle chez France Télécom, qui se retrouvent du jour au lendemain. mis dehors ou installés dans des bureaux avec ni tiroirs, ni rien, une chaise, puis plus personne avec qui travailler, des jours et des jours et des jours et des mois. Tu sais, le gars, parce qu'il n'y a pas seulement Sandra Lugbert qui a écrit un livre, il y a plusieurs livres qui ont été écrits, dont celui d'un gars qui s'appelle Vincent Talaoui, Vincent Talaoui. Ils ont failli me tuer. Ça, c'est le premier de classe qui a gravi tous les échelons, je veux dire, qui est allé loin, qui a travaillé fort, puis qui s'est retrouvé aliéné complètement du jour au lendemain à cause de la privatisation de France Télécom et des politiques de Didier Lombard et consorts. Ça fait que d'un côté, c'est des pauvres personnes qui n'ont pas réussi, mais de l'autre côté, je crée les conditions pour les empêcher de réussir. [01:07:13] Speaker B: Oui, oui, exact. [01:07:14] Speaker A: Et pour les dégrader. [01:07:16] Speaker B: Exact. Tout à fait. [01:07:19] Speaker A: Puis ça, qu'est-ce que tu... Qu'est-ce que t'argumentes contre ça? Rien du tout. Je veux dire, je comprends qu'ils aillent à la cour d'assises. Je veux dire, qu'est-ce que t'argumentes contre ça? Je veux dire, t'as réponse à tout, en fait. Pour tel argument, c'est A, puis pour tel autre argument, c'est B, puis que A et B soient incompatibles, on n'en a rien à foutre. On est dans le déni, en fait. C'est des petites gens, point final, et moi, je suis ici pour ma grandeur. Je ne veux pas sonner comme une syndicaliste, mais il y a comme quelque chose d'extrêmement violent dans cette soi-disant logique du marché, qui est en fait quelque chose qui est créé par des individus, des personnes. C'est pas... [01:08:06] Speaker B: En tout cas... Oui, oui, non, je te suis. Mais on pourrait peut-être parler aussi, parce qu'il faut le dire, le procès initial s'est terminé en 2019, 20, 21. Oui, c'est après 10 ans. Mais donc, France Télécom a été condamné. Les 7 dirigeants aussi. Donc c'était quand même une première en France, c'est pas rien. En même temps, c'est pas tout, parce que la condamnation de un an d'emprisonnement, huit mois de sursis, quatre mois ferme pour des disalombards, entre autres, dans les faits, c'est symbolique, il ira pas en prison, tout le monde le sait. Mais c'est symbolique, alors quel est le poids de ce symbole-là? Ça se discute. Et dépendamment de ta position aussi dans la souffrance, tu peux trouver que c'est très... [01:09:03] Speaker A: C'est rien du tout, ça tape sur les doigts. [01:09:05] Speaker B: Ou tu peux dire, au moins, ça marque quelque chose. Puis aussi, ils sont condamnés à payer un montant qui est assez ridicule. Je pense que c'est 15 000 euros. C'est ridicule pour eux, c'est-à-dire que ça ne change rien. [01:09:15] Speaker A: Mais oui, parce que tout ça, ça leur donne des primes puis des revenus. [01:09:19] Speaker B: Oui, puis dans l'optique aussi où ils ont des assurances, leurs avocats sont payés. Au niveau monétaire, ça ne change rien. C'est négligeable. Donc ça, c'est la conclusion du premier procès. Ils sont allés en appel quand même en 2022, en mai 2022, et la conclusion a été... La continuation donc de la reconnaissance de la culpabilité, donc c'est une victoire pour les victimes, harcèlement moral organisationnel, c'est encore explicité, dit, ça a eu lieu. Par contre, il y a une espèce d'effacement d'une certaine responsabilité où la peine est allégée, donc le... On le prend en exemple parce que c'est quand même la figure un peu de l'histoire, parce que c'était le dirigeant de numéro un. L'année de prison demeure, mais le quatre mois de prison ferme, qui était déjà symbolique, est enlevé. Parce qu'on dit que, de toute façon, il n'y a aucune chance qu'ils le refassent à nouveau. comme une espèce d'allègement, quand même, symbolique. [01:10:25] Speaker A: Oui, c'est un vieillard, là. [01:10:27] Speaker B: Oui, il est maintenant 80 ans, puis bon... Alors, comme de raison... Ça va pas dans le sens de... Bien, ça va dans le sens de s'effriter tranquillement, on peut le dire, là, en termes de responsabilité des dirigeants. Oui. Et donc, là, est-ce qu'ils vont... eux vont retourner en appel? Est-ce que les victimes vont vouloir continuer? Il faut voir, là. [01:10:47] Speaker A: Oui. Il y a quelque chose de... Il y a une des avocates qui disait, mais en fait, c'est une victoire parce qu'on a quand même réussi à faire reconnaître ce crime-là, en fait, de harcèlement moral organisationnel. C'est pas rien. Et elle dit ça en réponse au fils de quelqu'un qui s'est immolé en milieu de travail et qui, lui, ne digère pas du tout, du tout. Lui aurait voulu qu'on les poursuive pour non-assistance à personne en danger, pour homicide involontaire. [01:11:28] Speaker B: Oui, c'est ça. [01:11:29] Speaker A: Lui, ça ne passe pas du tout, du tout. Puis en fait, je disais ça parce qu'il y a la portée symbolique, que ces gestionnaires-là soient frappés d'infamie publiquement, c'est important comme symboliquement, mais il y a des gens qui ont tellement perdu, puis pour des victimes, c'est tellement important, ça peut tout changer, d'entendre les regrets des personnes, d'entendre « oui, j'ai mal agi ». Tu sais, c'est pour ça les procès, en fait, la plupart du temps. « J'ai été victime quand j'étais petite de ceci, de tel… ». Ce que tu veux entendre, c'est « je suis désolée de ce que je t'ai fait ». En fait, c'est la reconnaissance de culpabilité. on comprend que non seulement ça passe pas parce qu'il y a pas de reconnaissance de culpabilité, mais qu'en plus, c'est cette non-reconnaissance-là qui a mené, selon lui, au suicide de son père. C'est la même mécanique. La cause de son drame, c'est aussi la cause de son... C'est comme le fait que ça passe pas pour lui, que ce soit vraiment des peines insuffisantes. [01:12:50] Speaker B: C'est ça. Oui, oui. À partir de quel moment il pourrait avoir quelque chose de dit, ou une peine, ou quelque chose, ou une reconnaissance, comme tu dis, qui pourrait venir mettre une bombe, marquer le coup de bombe. Là, on peut clore ce chapitre-là, parce qu'en fait, tant que tu vas en appel et que tu continues, c'est que t'as quelque chose d'autre que tu veux qui soit reconnu ou dit. C'est pas évident, parce qu'en même temps, dans ce cas-là, sans être trop cynique, mais je pense que c'est la vérité de l'affaire, plus les années passent, plus les dirigeants vieillissent, moins les médias s'en occupent, plus ça s'effrite, plus c'est dur. Il peut y avoir des relents. Je pense qu'il travaille sur un documentaire. Mais même il disait, je ne sais pas où j'ai lu, mais il y a une des personnes qui s'occupait d'essayer de vouloir refaire un documentaire pour réexpliquer ce qui s'est passé, puis que les gens en reprennent acte, puis qu'on tire des leçons. On disait, mais là, il y a de moins en moins de gens intéressés dans les médias. France Télécom, qui est devenu orange, demeure une source de revenu pour beaucoup de médias dont ils achètent de la pub. Là, à un moment donné, il y a des forces qui disent, est-ce que la page n'a pas été tournée? Parce que, on the side aussi, France Télécom a dédommagé, indépendamment des procès, des victimes. Alors, tu sais, il y a un courant qui peut dire, bon, bien là, regardez, nous, en tant qu'institution médiatique, on est financés beaucoup par Orange. On ne va pas financer votre documentaire pour tirer dans notre chaloupe. On tourne la page. Donc, de plus en plus de gens tournent la page, ce qui fait en sorte que les victimes se sentent de plus en plus seules ou incomprises.

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